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L’émission "Pièces à conviction" diffusée pour la première fois le jeudi 14 avril prétend montrer que le Bugaled Breizh a été coulé par un sous-marin. L’émission aurait découvert des documents exclusifs pour appuyer cette théorie.
Les journalistes du Point et de France 3 qui ont réalisé les enquêtes présentées au cours de l’émission ne sont pas des spécialistes de la chose maritime, et encore moins du monde des sous-marins. Néanmoins, ils prétendent démontrer à l’aide de documents et de témoignages qu’un sous-marin, avançant à grande vitesse, s’est empêtré dans les funes [1] du chalut et a entraîné le sous-marin sous l’eau.
Ils présentent à l’appui de cette théorie : – l’allongement suspect de près de 500 mètres d’une des 2 funes, – un témoignage indiquant que le Dolphin hollandais naviguait en plongée, – une carte des zones d’exercice pour sous-marin montrant qu’un autre sous-marin se trouvait dans la zone, – la réponse écrite du ministère de la défense britannique indiquant que le HMS Turbulent était rentré le lendemain pour réparation.
Selon le reportage, les gendarmes auraient constaté que l’une des deux funes mesurait 250 m et l’autre 750. Selon la thèse des journalistes, c’est la preuve qu’un "objet sous-marin" s’est pris dans la fune la plus longue et a entraîné le Bugaled Breizh sous l’eau.
Je ne suis pas un spécialiste des alliages et de la résistance des métaux, mais les câbles d’acier utilisés pour le remorquage, que ce soit de navires ou de filets, ne sont pas élastiques à ce point.
Lorsque la charge est trop forte, ils se rompent. Les restes sont vrillés, des torons sont rompus. Il est impossible de relover correctement un câble ayant subi une traction trop forte. Lorsqu’un câble s’allonge au triple de sa longueur initiale, il est logique de penser que son diamètre est très réduit.
Or, les funes que l’on montrent à coté du Bugaled Breizh à Brest sont correctement lovées. On nous indique qu’un seul toron est rompu. On ne nous parle pas du diamètre des câbles.
Que la différence de longueur entre les 2 funes soit étrange, c’est un fait. Que cela prouve que quelque chose ait entrainé le Bugaled Breizh sous l’eau, cela reste à démontrer.
De plus, la théorie des journalistes est que le Bugaled Breizh a été coulé par un sous-marin faisant route inverse. Dans cette hypothèse, comment expliquer qu’une seule fune ait été allongée de 500 m ? Logiquement, un sous-marin pris dans une fune, qui aurait eu une route inverse, aurait entrainé avec le filet (et pas seulement une fune). Pourquoi une seule des funes a été touchée ?
Lorsque les journalistes nous parlent des réparations effectuées 3 mois plus tard sur le Dolphin, ils présentent les éraflures de la coque comme le résultat du rippage d’un câble (d’une fune ?). S’il s’agissait des funes du Bugaled Breizh, de la peinture noire de sous-marin aurait du être retrouvée à l’endroit du contact entre le sous-marin (qu’il soit le Dolphin ou un autre) et la fune. Or, ni les gendarmes, ni l’armateur du Bugaled Breizh n’ont rien remarqué de tel.
Les journalistes prétendent que l’allongement de la fune et la rapidité du naufrage prouvent que le sous-marin en cause avançait à grande vitesse.
Rappelons qu’à l’endroit du naufrage, il n’y a que 80 à 90 mètres de fond. – Un sous-marin moderne mesure, entre la quille et le sommet du kiosque [2], une vingtaine de mètres. – Les navires de commerce modernes, porte-conteneurs et autres pétroliers, peuvent, lorsqu’ils sont à pleine charge, avoir un tirant d’eau de 15 à 20 mètres.
Le commandant d’un sous-marin se trouvant dans une zone à faible immersion, fixe une distance de sécurité par rapport au fond (une dizaine de mètres). Plus le sous-marin est incliné vers l’avant (on dit qu’il a une assiette positive), plus la différence entre l’immersion de son avant et celle de son arrière est importante. Pour un sous-marin de 100 mètres de long, cette différence d’immersion entre l’avant et l’arrière est de 5 mètres pour une assiette de 5°.
Dans les zones cotières, des courants, les marées provoquent des remous qui peuvent perturber la stabilité en immersion d’un sous-marin. Les perturbations seront d’autant plus importantes que la vitesse du sous-marin est élevée. D’autre part, la vitesse du sous-marin réduit aussi le temps de réaction de l’équipage pour éviter une collision avec le fond.
C’est pourquoi tous les commandants de sous-marins augmentent les distances de sécurité avec la vitesse. Et même avec cette distance de sécurité, il serait irresponsable de d’utiliser toute la puissance du sous-marin à une immersion aussi faible : le risque de collision avec le fond serait trop élevé.
Voici un pêcheur, qui n’avait rien dit jusqu’à présent [3] qui déclare qu’un écho est apparu sur son radar à un kilomètre devant lui et que cela ne peut être qu’un sous-marin. D’ailleurs le Dolphin les a contacté par radio peu après.
La coque extérieur et le kiosque des sous-marins modernes sont la plupart du temps construits en matière plastique ou en résine pour éviter la corrosion. Ces matières ne réfléchissent pas ou mal les ondes radars. Il est donc possible que la portée du radar de ce bateau de pêche sur un sous-marin soit très faible et qu’il apparaisse d’un coup sur leur écran.
La visibilité ce jour-là était très bonne : la patron de l’Eridan a vu de très loin un hélicoptère inconnu survoler la zone du naufrage et, de très loin aussi, une silhouette noire qu’il a reconnu comme un sous-marin lorsqu’il a utilisé ses jumelles.
Comment le bateau de pêche anglais aurait-il pu ne pas voir le sous-marin faire surface à une distance aussi faible ? Pourquoi ne nous parle-t-on pas de ce que ce pêcheur a vu ? Pourquoi, alors que la visibilité était bonne, le pêcheur utilisait-il son radar ? Sur les bateaux de pêche, l’écran radar se trouve à la passerelle et il suffit de lever les yeux pour voir ce qui se passe dehors. A un kilomètre, comment aurait-il pu ne pas voir un sous-marin en train de faire surface ?
Contrairement à ce que leur nom indique, ces zones sont plus exactement des zones où un sous-marin est autorisé à plonger. Il s’agit d’éviter les collisions entre des sous-marins en plongée. Chaque zone est donc attribuée à un instant donné à un sous-marin et à un seul.
Lorsque le fond le permet, une zone peut être attribuée à deux sous-marins en établissant une séparation en immersion : le sous-marin A disposera de la zone entre la surface et 100 mètres, le sous-marin B pourra évoluer entre 150 et 250 mètres. Les zones ne se touchent jamais : il y a toujours une séparation importante entre les 2 zones.
La plupart du temps, un sous-marin ne se voit pas attribuer qu’une seule zone. Sa liberté d’action et le réalisme de l’exercice seraient trop affectés. Il ne se voit d’ailleurs pas attribuer des zones que dans cette seule circonstance : il se voit attribuer des zones à chaque fois qu’il doit naviguer en plongée (transit, essais...).
Que montrent le fax et la carte présentés lors de l’émission ? – Il ne s’agit pas de documents secrets. On peut voir à l’écran sur le fax la mention "unclassifed" (non protégé). – Deux zones sont matérialisées : l’une à l’est du Bugaled Breizh, l’autre à l’ouest.
Aucun nom de sous-marin n’est indiqué sur le fax. Mais la carte des positions des sous-marins au moment du drame permet raisonnablement de supposer que la zone Est était attribuée au U22 (le sous-marin allemand). Cette même carte montre qu’à l’Ouest, il y avait le HMS Torbay. La zone Ouest pouvait donc lui avoir été attribuée.
Le commentaire tendancieux du journaliste prétend que le Bugaled Breizh était entouré par des sous-marins. Or, la carte des zones d’exercice n’indique pas l’endroit où ils se trouvaient mais là où ils avaient le droit de plonger. L’étendue des zones montre qu’ils pouvaient se trouver à des dizaines de kilomètres du lieu du drame.
Cette carte des zones d’exercice montre aussi, et surtout, qu’aucun sous-marin n’était autorisé à naviguer en plongée dans la zone où se trouvait le Bugaled Breizh. Aucun commandant de sous-marin ne se risquerait en temps de paix à naviguer en plongée dans une zone qui ne lui a pas été attribuée.
Ce fax, et la carte qui va avec, disculpent donc les sous-marins en opération dans cette zone.
Les journalistes prétendent en citant la réponse écrite du ministre de la défense que le HMS Turbulent serait entré à Devonport le lendemain vers 1h du matin pour des réparations. Or, cette affirmation est farouchement démentie par la Royal Navy qui indique que le sous-marin était à quai au moment du drame. Les journalistes n’indiquent pas quelles réparations auraient pu subir le HMS Turbulent.
Aucun des éléments qui étaient supposés démontrer la responsabilité d’un sous-marin dans le drame du Bugaled Breizh ne résistent à l’examen. Certes, cela ne veut pas dire que les sous-marins sont innocents, juste qu’aucune preuve n’a été apportée.
Au final, l’attrait qu’exerce le "monde secret des sous-marins", leur manque de connaissance du monde maritime en général et de celui des sous-marins en particulier, un zeste de théorie du complot entre toutes les marines européennes, semblent avoir affecté la qualité du travail des journalistes de France 3.
Le sous-marin faisait un coupable trop tentant.
Les opinions présentées n’engagent pas la Marine Nationale. Elles ne sont que celles de l’auteur.
[1] Les deux câbles qui relient le filet au chalutier.
[2] Soulignons ici en passant le grand professionnalisme de la présentatrice que l’émission qui ignore ce qu’est un kiosque sur un sous-marin.
[3] Comment ont-ils donc pu le découvrir dans ce cas ?