Quelles sont les capacités du SNLE Chinois Type 094 ? (2/3)

  • Dernière mise à jour le 1er août 2007.

Voici la deuxième partie de la série sur les SNLE Chinois. Cela a pris un peu de temps, principalement parce que je voulais relire Strategic Antisubmarine Warfare and Naval Strategy de Tom Stefanick. C’est un classique.

Quoi qu’il en soit, l’idée générale est que je doute que les SNLE Chinois puissent réellement survivre beaucoup plus longtemps que la branche terrestre de leur triade nucléaire. Cela s’explique par 3 éléments : le niveau de bruit du sous-marin, la portée du missile balistique JL-2 et la situation géographique de la Chine.

 A quel point est-il silencieux ?

La mesure la plus courante de la capacité est le niveau de bruit que le sous-marin émet. Un sous-marin bruyant est un sous-marin mort.

Je vois de nombreuses comparaisons sensées montrer à quel point les sous-marins Chinois Type 093 et 094 sont silencieux, en comparaison avec les Victor III et les Los Angeles.

Les données pour cela sont difficiles à obtenir, mais en 1997, l’Office of Naval Intelligence (ONI) a diffusé un graphique comparant la performance des nouveaux sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) Chinois, le Type 093, dont on pense que le Type 094 partage une partie de la conception.

Comparaison du niveau de bruit émis par différents types de sous-marins

Evidemment, l’ONI n’a diffusé aucun chiffre. Mais grâce au classique Strategic Antisubmarine Warfare and Naval Strategy de Tom Stefanick, nous pouvons placer le SNA Chinois entre 130 et 150 decibels (à partir des nombreuses précisions techniques indiquées pages 272 à 279).

L’estimation de l’ONI a été cependant réalisée avant que nous puissions effectivement voir le sous-marin. Une comparaison intéressante serait de comparer le niveau de bruit du Type 093 avec le Victor III. Les techniques modernes de discrétion impliquent que la quantité de matériel d’isolation augmente ; Stefanick observe une relation entre la discrétion et des sous-marins plus gros.

Malheureusement, je n’ai pas vu d’estimations réellement convaincantes sur le déplacement du Type 093 ou de chiffres crédibles des dimensions du sous-marin pour faire une comparaison avec le Victor III. Cela serait bien de pouvoir avoir une photo d’un Type 093 au bassin.

 La Chine pourrait-elle effectuer des patrouilles de dissuasion ?

La portée limitée du missile JL-2 est une deuxième contrainte importante. Différentes sources Américaines placent la portée du missile à 4.000 nautiques ou 8.000 kilomètres.

NASIC a l’habitude de dire que le missile JL-2 va “pour la première fois, permettre aux SNLE Chinois de menacer des parties du territoire des Etats-Unis en naviguant depuis des zones d’opération situées près des côtes Chinoises.”

Le mot important ici est parties … comme l’Alaska. Je peux ne pas vouloir échanger Los Angeles contre Taipei, comme Xiong Guangkai l’a suggéré, mais Anchorage est une autre histoire. Ou, au moins, les Chinois doivent s’inquiéter de cela.

Pour menacer des villes sur le territoire continental des Etats-Unis — disons nos amis résidant à Seattle (côte nord-ouest), par exemple — les SNLE Chinois devraient patrouiller dans les eaux profondes du Pacifique Nord — un voyage très long. En effet, la suggestion de l’ONI que 5 sous-marins seraient nécessaires pour seulement maintenir une dissuasion “presque continue” à la mer suggère que les analystes de l’ONI ont tiré des conclusions similaires sur la distance des zones de patrouille depuis les bases sous-marines de la China.

(Voir plus à ce sujet un peu plus loin).

Une autre inquiétude opérationnelle qui pointe vers des patrouilles dans le Pacifique Nord est le besoin de menacer à la fois Moscou et les populations résidant dans le centre des Etats-Unis. La zone réelle d’opération pourrait être relativement plus grande si les dirigeants Chinois veulent que les sous-marins patrouillent hors de portée de certaines cibles jusqu’à la réception de l’ordre de lancement.

Zone de patrouille des SNLE

Pour rejoindre le Pacifique Nord, un SNLE Chinois devrait passer par les passages étroits entre la Corée du Sud, le Japon, et Taïwan — un équivalent Asiatique de la fosse GIUK [1] — pour atteindre les zones du Pacifique Nord depuis lesquelles le missile JL-2 pourrait atteindre des portions significatives des Etats-Unis.

La chaîne d’îles offre un nombre important d’emplacements possibles pour des senseurs fixes, similaire au système SOSUS, qui devrait fournir une opportunité importante pour des SNA Américains et d’autres plateformes ASM (anti-sous-marines) Américaines et Japonaises pour détecter et pister le SNLE en patrouille. Une revue des articles de presse suggère un haut niveau de connaissance sur les opérations sous-marines Chinoises dans et autour des eaux Japonaises.

Une fois dans les eaux profondes, les SNA et SNLE Chinois seraient extrêmement vulnérables parce que l’eau profonde propage très bien le son. Stefanick estime que le sous-marin de la classe Los Angeles a un avantage acoustique de 25 à 100 nautiques sur le Victor III, qui est probablement plus silencieux que les sous-marins Type 093 et 094. Cela me rappelle une phrase d’un message à propos de Chuck Norris : Si vous pouvez voir Chuck Norris, Chuck Norris peut vous voir. Si vous ne pouvez pas voir Chuck Norris, vous pouvez n’être qu’à quelques secondes de la mort. Remplacez “voir” et “Chuck Norris” par “entendre” et sous-marin de la “classe Los Angeles” ou désormais “classe Virginia”.

La portée est seulement l’une des inquiétudes opérationnelles, bien sûr. La Chine devrait aussi penser à des systèmes de communication sécurisés et pouvant survivre à des attaques. Ceci est un long sujet, cependant, et ouvre une discution beaucoup plus large sur les questions de contrôle et de commandement.

 L’île de Hainan ?

Bien que le SNLE ait été détecté au Nord, près de Dalian, certains pensent que la Chine basera finalement le SNLE dans ou près de la base navale de Yulin sur l’île de Hainan. J’avais du mal à imaginer que la Chine base son SNLE si loin dans le Sud. En effet, je pensais que baser le sous-marin si loin d’une zone de patrouille permettant de menacer des cibles Nord-Américaines signifiait un rôle privilégié orienté contre la Russie pour le Type 094.

Mais l’ONI et d’autres, cependant, semblent croire que le Type 094 fera le voyage de 9.000 km (aller et retour) entre l’île de Hainan et la zone de patrouille que je mentionnai précédemment. Considérant que le sous-marin voyage à environ 10 noeuds (18-19 km/h) pour éviter la cavitation qui révélerait la position du sous-marin, le voyage de Hainan vers la zone de patrouille prendrait environ 10 jours dans chaque sens (le voyage est d’environ 4.300 km). Considérant que le Type 094 a une autonomie de 80 jours, cela laisse une patrouille de 60 jours.

Tout d’un coup, l’estimation de l’ONI de 5 sous-marins pour maintenir une présence “presque continue” prend de la consistence. 5 sous-marins pour une patrouille de 60 jours fonctionne pendant environ 300 jours de l’année. Peut-être que l’ONI pense que le SNLE a un peu plus d’autonomie ou que les commandants vont vouloir prendre un peu plus de risques pour arriver sur leur zone de patrouille. Mais les chiffres marchent assez bien.

Quelqu’un a dit à Demetri Sevastopulo que baser le Type 094 sur l’île de Hainan “permettrait à ses sous-marins de passer plus facilement et les rendraient plus difficiles à détecter et à suivre.”

Plus facile n’est la même chose que facile. Le sous-marin doit tout de même passer par le détroit de Luzon qui est assez étroit (360 kilomètres, divisé en plusieurs passages plus petits par plusieurs îles).

En l’admettant, le détroit de Luzon est un environnement littoral complexe avec beaucoup de bruits de navigation dans lequel les SNLE Chinois pourraient se cacher et sortir en mer. Mais l’US Navy peut toujous étudier, modéliser le détroit et le truffer de senseurs. Cela n’est ignoré à l’Office of Naval Research qui se dit très intéressé par l’“océanographie unique observée dans la mer de Chine du Sud” et semble avoir reçu des budgets importants pour faire de la recherche sur place, dont Asian Seas International Acoustics Experiment (ASIAEX), Windy Islands Soliton Experiment (WISE) et dieu sait quoi d’autre encore.

Et, bien sûr, une fois passé le détroit de Luzon, un commandant a encore le problème que l’eau profonde propage le son.

Nous aurions besoin de quelques bateaux de plus pour faire cela (je n’ai pas fait d’estimations), mais je trouve difficile d’imaginer des problèmes qui ne puissent être résolus en donnant au Représentant Courtney [2] le sous-marin supplémentaire qu’il demande pour son district.

D’un autre côté, si la Chine considère le Type 094 comme une dissuasion seulement contre la Russie, les défis opérationnels sont moins importants. Moscou est à portée d’eaux peu profondes qui sont proches des bases navales Chinoises et très loin des sous-marins et des autres forces ASM de la Russie.

Le fait que la Chine construise un SNLE avec une aide importante de la Russie, SNLE qui semble mieux adapté pour frapper Moscou … me semble un assez bon indicateur que ce sont des impératifs technologiques — plutôt que des exigences opérationnelles — qui continuent à diriger le programme SNLE.

 Une stratégie d’appareillage subit ?

Si la Chine devait maintenir une dissuasion en patrouille dans le Pacifique Nord, je pense que l’US Navy devrait être capable de détecter le sous-marin sortant du port et de le suivre en patrouille — en l’absence de toute négligence criminelle de sa part ou, plus probablement, de ceux qui la finance ou l’équipe.

La semaine dernière, j’ai suggéré que le jury était toujours indécis sur le fait de savoir si la Chine allait envoyer en mer sa dissuasion. Bien que des pays aient fait des choses plus folles, les limites technologiques du missile et du sous-marin interagissent avec la géographie défavorable pour la flotte Chinoise de SNLE d’une telle manière que l’envoi en mer de ses SNLE est la décision la plus probable.

Bien sûr — comme je le disais la semaine dernière — les impératifs bureaucratiques peuvent avoir plus de poids que l’analyse politique. Mais je ne pense pas que le Type 094 soit une plateforme ayant beaucoup de chances de survie dans un conflit, compte-tenu des estimations du renseignement Américain, pour des patrouilles de dissuasion contre les Etats-Unis.

D’autres stratégies sont bien sûr possibles. J’aime bien jouer avec l’idée que la Chine pourrait construire un petit nombre de SNLE restants au port, mais qui pourraient être envoyés “subitement” en mer dans les premières phases d’un conflit. Un commandant ayant de la chance pourrait parvenir à se glisser si les matériels ASM Japonais et Américains sont occupés avec les sous-marins diesel Chinois.

Cela soulève évidemment la perspective d’un sérieux mauvais calcul pendant une crise grave, ce qui sera le sujet de ma prochaine chronique.

Notes :

[1Groënland, Islande, Royaume-Uni : zone de passage obligé des sous-marins Soviétiques pour rejoindre l’Atlantique dans laquelle l’OTAN avait posé des hydrophones SOSUS et que des SNA surveillaient en permanence.

[2Le Représentant Courtney représente le comté dans lequel se trouve le chantier de construction des sous-marins de Groton. Il milite pour la construction de 2 SNA par an et non plus un comme actuellement.

Source : ArmsControlWonk (Etats-Unis)