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Les forces navales canadiennes ont eu leurs heures de gloire et de désespoir, mais ont été victimes de l’indécision du politique
Le Canada a d’abord découvert ses frontières stratégiques à l’occasion des Première et Deuxième Guerres mondiales et ensuite à travers la guerre froide qui a farouchement opposé les États-Unis à l’ex-URSS. Cela lui a permis de constater l’importance des routes Crimson au nord-est pour ravitailler la Russie à l’époque alliée, ainsi que celle du nord-ouest pour soutenir des opérations logistiques chinoises, avant que Pékin ne devienne peu de temps ensuite une capitale « rouge ». Ce faisant, le Canada a aussi découvert l’importance stratégique des Grands Lacs et des voies navigables du Saint-Laurent avant de s’aventurer plus à fond dans les grands corridors maritimes atlantiques pour soutenir ses alliés européens, la Grande-Bretagne principalement.
Vers la fin des années 40, le Canada s’est attelé d’urgence à la tâche de faire entrer Terre-Neuve dans la Confédération canadienne, de crainte que ce territoire ne devienne un véritable porte-avions américain. Il a donc fallu des crises et des guerres avant que le Canada réalise pleinement l’importance du potentiel stratégique de son territoire.
Baigné par trois océans, disposant de 243 772 km de côtes maritimes et d’une zone globale de 11 millions de kilomètres carrés à surveiller, le Canada, depuis l’accident du NCSM Chicoutimi, n’a désormais plus aucun sous-marin pour patrouiller sous les eaux. Le Chicoutimi (l’ex-Upholder britannique) est à quai pour au moins un an, et les trois autres sous-marins de la classe Victoria (le Victoria ou l’ex-Unseen britannique ; le Windsor ou l’ex-Unicorn britannique ; le Cornerbrook ou l’ex-Ursula britannique) sont en « résidence surveillée », en attendant que les enquêteurs produisent leurs rapports sur les causes et conséquences de l’incendie qui s’est déclaré à bord du Chicoutimi.
Un vieil adage précise que tous les pays ont une marine : la leur ou celle des autres qui croisent dans leurs eaux. Au moment d’acquérir ses quatre destroyers de la classe Iroquois dans les années 80, le cabinet n’en voulait que trois. Il aura fallu la ténacité du ministre de la Défense de l’époque, Gilles Lamontagne, et celle de la marine pour convaincre les autorités politiques qu’en de telles circonstances le quatrième destroyer qui naviguerait dans les eaux canadiennes serait un bâtiment de surface américain. Cet argument força la décision in extremis. C’est ainsi que se prennent les décisions politiques au Canada...
En outre, le Canada n’a pas une, mais trois marines : la marine militaire, celle de la Garde côtière et celle des Pêches et des Océans. En matière maritime, le Canada a donc plusieurs chats à fouetter. Toutefois, la marine canadienne a toujours eu l’habitude de se présenter comme la « bonne à tout faire » et prétendu que, en dehors d’elle, il n’y avait point de salut.
Elle a aussi les défauts de ses qualités. Elle peut être fière et arrogante comme elle l’a été lors de la démission fracassante du contre-amiral Bill Landymore au début des années 60, peu de temps avant la réforme du ministre Paul Hellyer qui allait la mettre au pas. Arrogante aussi, car, durant la crise de Cuba, elle avait mis ses forces en état d’alerte maximum, décision entérinée par la suite par le ministre de la Défense de l’époque, Douglass Harkness, sans avoir consulté le premier ministre Diefenbaker qui ne l’apprendra que 48 heures plus tard. Depuis 1945, ce fut sans doute l’un des rares cas où l’insubordination de la marine au pouvoir politique a été aussi manifeste.
Elle est aussi nord-américaine dans la mesure où elle a perdu ses lettres de noblesse. Avec l’unification des forces armées, la RCN (Royal Canadian Navy) a cessé d’être britannique en 1968 — tout comme la Royal Air force — pour devenir tout simplement un élément des forces armées canadiennes. En revanche, la force sous-marinière canadienne est toujours restée britannique, sauf en de rares occasions où quelques sous-marins américains lui ont été prêtés dans un but d’entraînement. En effet, tous les sous-marins de la classe Oberon — Onondaga, Okanogan, Ojibwa — et ceux de la classe Victoria qui allaient suivre sont de conception britannique.
Un exemple aussi bien connu du recyclage de matériel britannique au Canada a été l’achat du porte-avions Bonaventure vers la fin des années 50 et qui restera en service jusqu’en 1970, avant de terminer sa vie dans une cour à ferraille taïwanaise.
En réalité, la marine canadienne a eu ses heures de gloire et de désespoir. Elle a toujours été victime d’un pouvoir politique indécis et sourcilleux. Le gouvernement Trudeau détestait les armes nucléaires, mais aussi le rôle de mission de guerre anti-sous-marine confiée à la marine canadienne et, bien sûr, dirigée contre les sous-marins lanceurs d’engins soviétiques. Il tentera donc d’écarter cet objectif et de ramener la marine à son rôle essentiel de protection de la souveraineté canadienne.
Peu de temps après la publication du Livre blanc sur la défense de 1971, le gouvernement libéral mettra au rancart son projet d’aéroglisseur ou d’hydroptère Bras d’or aussi destiné à la lutte anti-sous-marine. D’importants dépassements de coûts vouaient de toute façon ce projet à un échec, d’autant que les États-Unis développaient leur propre prototype d’hydrofoil.
Vers la fin des années 80, le conservateur Perrin Beatty a souhaité doter le Canada de sous-marins à propulsion nucléaire capables d’opérer dans l’Arctique. Il a été encouragé en cela par l’ex-sous-ministre de la Défense, Robert Fowler, un fidèle serviteur du Parti libéral qui deviendra plus tard notre ambassadeur à l’ONU.
Dans son Livre blanc mort-né de 1987, le gouvernement canadien exprima le souhait d’acquérir de 10 à 12 sous-marins à propulsion nucléaire. La vision d’ensemble visait à faire de l’Arctique sous-marin une zone à compétences partagées entre le Canada et les États-Unis, à l’instar des accords conclus dans le cadre du NORAD.
Deux ans plus tard, soit en 1989, ce plan était relégué aux oubliettes. C’est qu’entre-temps, Britanniques et Américains surtout s’étaient rendu compte qu’ils n’avaient pas vraiment l’intention de partager cette chasse gardée avec les Canadiens, d’une part, et que la France, d’autre part, s’était glissée dans ce jeu à trois en proposant des sous-marins à propulsion nucléaire de toute première qualité et à des prix bien inférieurs à ceux qu’auraient pu offrir les Britanniques. Des sous-marins français au large des côtes canadiennes ? Quelle idée ! Du jour au lendemain, le Canada se rendit compte qu’il ne disposait plus des sommes nécessaires pour de tels achats, tandis que la marine s’employa à développer d’ingénieux contrats d’achat-location des Upholder.
La guerre froide cessant d’exister au même moment, la marine canadienne oublia volontairement l’Arctique pour s’intéresser au concept des groupes navals de combat. Bien qu’il n’existe aucune définition communément acceptée de ce que constitue un task force maritime, il est d’usage de le définir comme étant articulé autour d’un ou de deux destroyers, de trois ou quatre frégates et d’un navire de soutien, comme le NCSM Protector par exemple.
Et pour vraiment rester dans la course, comme tous les bateaux de surface sont particulièrement vulnérables aux sous-marins, l’addition d’un Upholder paraissait indispensable, du moins aux yeux de la marine, pour garantir la sécurité du périmètre maritime d’un groupe naval. Un sous-marin de la classe Victoria peut à lui seul couvrir l’équivalent en superficie sous-marine du tiers de Terre-Neuve (111 390 km2), soit environ 37 000 kilomètres carrés.
Presque 10 ans plus tard, après l’abandon des sous-marins dans le budget de 1989, soit en 1998, le Canada décidait d’acquérir quatre sous-marins diesels électriques pour le prix dérisoire de quelque 600 millions de dollars sur huit ans. Une aubaine, quoi ! Aucun transfert bancaire ne serait nécessaire, puisque les sommes dues par les Canadiens seraient effacées par celles que les Britanniques devaient nous payer en contrepartie de la formation et de l’entraînement de leurs soldats sur des bases canadiennes.
La marine canadienne a donc présenté son projet comme étant indispensable au maintien d’une capacité de combat pour maintenir sa crédibilité, certes, tout comme le dernier Livre blanc de 1994 le réclamait d’ailleurs, mais aussi pour répondre à nos engagements internationaux, l’opération Apollo étant la dernière en date où la marine canadienne s’est particulièrement illustrée.
Selon l’ex-ministre Sheila Copps, « ce sont les officiers supérieurs qui disaient au cabinet que cet achat était l’aubaine du siècle. Ce sont eux qui ont supplié le gouvernement d’acheter cette camelote. Il a fallu trois ministres pour convaincre un cabinet sceptique d’acheter ces sous-marins d’occasion d’un pays qui n’en voulait plus » (citation rapportée dans La Presse du 9 octobre 2004).
Chose certaine, la marine canadienne les voulait, en dépit des changements stratégiques qui pointaient à l’horizon, depuis l’éclatement de l’ex-URSS jusqu’à la montée du terrorisme transnational tous azimuts.
Albert Legault - Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en relations internationales de l’Université du Québec à Montréal.
Source : Le Devoir