L’accord secret sur le sous-marin nucléaire

  • Dernière mise à jour le 28 août 2007.

Le 15 juin 2008, la Marine Indienne va admettre au service actif l’INS Chakra, un sous-marin d’attaque àpropulsion nucléaire de la classe Akula-II, d’un déplacement de 12.000 tonnes, dans le port Sibérien de Vladivostok.

Le sous-marin, construit dans un chantier naval de Komsomolsk-on-Amur, marque l’achèvement d’un accord secret de 650 millions de $ signé il y a 3 ans et demi par le gouvernement Indien, selon lequel l’Inde financerait la construction d’un sous-marin nucléaire Russe inachevé et le louerait ensuite pour 10 ans. La réception du Chakra donne à l’Inde la troisième jambe, longtemps attendue, de la triade nucléaire — les 2 autres étant les plateformes de lancement d’armes nucléaires situées sur terre et en l’air — généralement considérée comme le mode de lancement ayant le plus de chances de survivre à une attaque.

“C’est la capacité stratégique la plus importante que nous recevons depuis les essais d’armes nucléaires en 1998,” indique l’analyste stratégique Bharat Karnad. Disposant d’un équipage indien spécialement entrainé, le Chakra — baptisé d’après l’arme de Krishna — entreprendra un voyage de 15 jours par la mer de Chine du Sud, sans escale, vers l’Inde, où il sera officiellement intégré comme composante du commandement des forces stratégiques Indiennes.

Les sous-marins nucléaires utilisent un récateur nucléaire miniature pour produire de la vapeur qui alimente une turbine. Pouvant atteindre une vitesse en plongée considérable et ayant une autonomie presque illimitée, ils ne sont en fait limités que par la résistance de leur équipage. Le sous-marin Akula-II peut atteindre 35 noeuds et plonger à 600 m, le double d’un sous-marin à propulsion classique. “Néanmoins, un sous-marin nucléaire est plus que simplement un sous-marin avec un réacteur nucléaire,” déclaré le contre-amiral en retraite Raja Menon. “C’est l’arbitre du pouvoir en mer,” ajoute-t-il.

Equipé de missiles de croisière à capacité nucléaire d’une portée de plus de 1.000 km, le Chakra sera un ajout puissant à l’arsenal stratégique de l’Inde. Une nécessité qui a été ressentie après les essais de Pokhran en 1998 lorsque l’Inde a annoncé une doctrine nucléaire de “non-utilisation en premier” et des forces nucléaires basées sur une triade d’avions, de missiles mobiles basés à terre et de matériels situés en mer, pour garantir que sa dissuasion nucléaire serait “effective, résistante, variée, flexible et répondant aux exigences d’une dissuasion minimum crédible”. Alors que les missiles mobiles (rail et route) Agni constituaient la jambe basée à terre de la triade, l’attention s’est rapidement concentrée sur l’introduction de sous-marins équipés d’armes nucléaires. Le navire à technologie avancée (ATV) [1], un euphémisme pour un projet de SNLE lancé dans les années 70, ne serait pas mis en service avant une décennie.

Par conséquent, des discutions sur la location de 2 sous-marins Akula — plus tard réduits à un seul — ont été lancées par le gouvernement Vajpayee après la bataille de Kargil en 1999. Projet à nom de code, il faisait partie des 3 matériels navals clé sur la liste de la commission Indo-Russe sur la coopération technique militaire lancée par le gouvernement en 2002. Les 2 autres matériels sur la liste étaient l’achat du porte-avions Admiral Gorshkov et la location de 4 bombardiers stratégiques Tu-22M (qui ont depuis été annulés). Les budgets pour la location du sous-marin ont été allouées par le gouvernement central sans que cela soit rendu public. L’accord pour la location du sous-marin a été signé discrètement à Delhi en janvier 2004 en même temps que l’accord sur le Gorshkov, pendant la visite du ministre de la défense Russe, Sergei Ivanov.

Pendant encore des années, le gouvernement a démenti les projets de location de sous-marins nucléaires. Ivanov, aussi, a constamment démenti les articles parlant de la location, mais en 2005, le quotidien Russe Kommersant a remarqué qu’un pic inexpliqué dans les revenus d’exportation d’armes du pays montrait que la location avait été payée.

Le Chakra sera bientôt rejoint par l’ATV, en construction dans une cale sèche secrète de Visakhapatnam. La construction de l’ATV d’un déplacement de 5.000 tonnes, une version modifiée de la classe Russe Charlie-II, est désormais presque terminée, et il sera lancé l’an prochain pour des essais à la mer. Il sera admis au service actif dans la Marine Indienne en 2009. Equipé de missiles balistiques dévelopé localement (des variantes du missile Agni-3, 3 étages et une portée de 5.000 km), l’ATV marquera l’entrée de l’Inde dans le club des SNLE et signifiera la concrétisation d’un programme stratégique longtemps retardé.

Les retards semblent s’être déplacés vers le côté Russe. Au départ prévue pour le 15 août de cette année, la livraison du Chakra a été retardée de 10 mois pour les mêmes raisons qui retardent la remise en état en Russie du Gorshkov. Au début de l’année, la Russie a augmenté le prix de la location du sous-main nucléaire de 135 millions de $, ce qui a été rejeté par la délégation du ministère Indien de la défense. Des responsables du ministère ont confirmé l’état avancé de la location et des projets et ont indiqué que le gouvernement réfléchissait à la date à laquelle il dévoilerait l’existence des 2 projets.

La location du sous-marin Akula-II — au départ destiné à la Marine Russe à court de liquidités et pour lequel la construction avait cessé dans les années 90 sur le chantier Amur — fera de l’Inde la 6ème puissance mondiale à disposer de sous-marins nucléaires. Il y avait seulement eu un seul précédent — le transfert pendant 3 ans d’un sous-marin nucléaire d’attaque de la classe Charlie-I (aussi baptisé Chakra) par l’Union Soviétique à partir de janvier 1988, qui avait tiré partie d’une lacune dans les traités internationaux. Les traités interdisent la vente de sous-marins nucléaires, mais ne bloquent pas la location, à condition que les sous-marins ne soient pas équipés d’armes ou de missiles nucléaires ayant une portée supérieure à 300 km. Le Chakra ne sera pas livré équipé de missiles de croisière stratégiques d’une portée de 3.000 km, puisqu’ils violent le régime de contrôle des technologies de missiles, mais rien n’interdit à l’Inde d’équiper le sous-marin de ses propres missiles.

La location actuelle de 10 ans — qui pourra être prolongée plus tard — diffère de celle du sous-marin Charlie-I dans certains aspects importants. Alors que le contrôle du réacteur et le lancement des missiles étaient restés en 1988 armés par du personnel naval Soviétique, le nouveau Chakra sera entièrement armé par un équipage Indien, qui doit rejoindre Vladivostok en décembre. Près de 300 personnels navals Indiens, ou 3 équipages, ont déjà été formés pour embarquer sur le sous-marin dans une installation spécialement construite à Sosnovy Bor, une petite ville près de St Petersbourg en Russie. Tous sont revenus cette année après la fin de leur formation.

Les futurs équipages de l’ATV seront aussi formés sur le Chakra, qui constitue une plateforme de formation très utile. “Un sous-marin loué vous donne une longueur d’avance énorme pour la formation des équipages,” déclare Menon. “Il faut plusieurs années pour former un équipage de sous-marin nucléaire comme les officiers de quart ou les hommes de barre.” Le nouveau Chakra comblera l’expérience qui a été perdue lorsque le sous-marin de la classe Charlie-I a été rendu à l’ancienne Union Soviétique mais ajoutera aussi une plateforme stratégique à l’inventaire Indien.

Notes :

[1Advanced Technology Vessel.

Source : India Today