La dissuasion nucléaire Chinoise va-t-elle prendre la mer ?

  • Dernière mise à jour le 26 juillet 2007.

Voici la première partie d’une réflexion consacrée aux question entourant le nouveau SNLE Chinois. Les autres parties seront consacrées àses capacités possibles et les conséquences qu’il peut avoir sur la plannification de la défense Américaine.

La lutte anti-sous-marine
Dessin par Istvan Banyai, qui accompagnait un article de Keir Lieber et Daryl Press paru dans The Atlantic.

Est ce que le sous-marin de la classe JIN indique que la dissuasion nucléaire Chinoise va prendre la mer ?

La réponse simple à cette question est “Je ne sais pas.” Quiconque prétend le savoir vous souffle de la fumée à la figure. Même les politiciens Chinois qui militent fortement pour une telle évolution feraient mieux de ne pas compter sur leurs sous-marins avant qu’ils aient été lancés.

 Opérations sans interruption ?

La Chine construit, évidemment, au moins un sous-marin. La véritable question, cependant, est de savoir si la Chine va envoyer le sous-marin en patrouille avec des armes nucléaires.

Le Office of Naval Intelligence pense que la China va construire 5 SNLE pour maintenir une dissuasion plus ou moins permanente en mer :

Alors que la Chine a construit seulement un unique SNLE de type XIA, une flotte de probablement 5 SNLE de Type 094 sera construite pour donner plus de redondance et de capacité pour une présence presque permanente de SNLE à la mer.

Je note avec quelque intérêt que la DIA [1], avec peut-être des priorités bureaucratiques différentes, avait prédit en 1999 que la Chine aurait vers 2020 2 sous-marins de la classe JIN et le XIA soit 3 SNLE au total.

L’estimation de l’ONI est la dernière d’une longue série de prédictions selon lequelles la Chine déploierait une flotte de SNLE suffisament importante pour maintenir des patrouilles de dissuasion continues. En 1974, une NIE (National Intelligence Estimate : évaluation de renseignement) avait prédit 4 SNLE Chinois pour 1980. En 1984, la DIA suggérait que ces 4 SNLE seraient opérationnels en 1994.

Au final, la Chine a construit un seul SNLE, le sous-marin de la classe XIA, qui pour autant que je le sache n’est jamais parti en patrouille, ni n’a jamais embarqué de missiles balistiques JL-1.

Je rappelle ces évaluations passées non pour me moquer ou discréditer la communauté du renseignement — mais plutôt pour observer une sorte de phénomène analytique.

Ces évaluations étaient basées principalement, je le soupçonne, sur l’idée que la Chine enverrait sa dissuasion en mer parce que c’était la chose rationnelle à faire, ou plus exactement précisément parce que c’est ce que nous avons fait. En effet, les 4 autres puissances nucléaires signataires du traité de non-prolifération ont toutes des SNLE, y compris la Grande-Bretagne qui repose exclusivement sur “une flotte de sous-marins pour en maintenir un en patrouille permanente et … assurer l’invulnérabilité de la dissuasion.”

Que la Chine construierait une flotte de SNLE n’était pas une mauvaise prédiction, bien que cela ne se soit pas passé comme ça. Pourquoi la Chine n’a-t-elle pas envoyé sa dissuasion en mer fait partie d’une longue histoire, je pense, sur comment la politique bureaucratique joue souvent un rôle décisif dans la planification de la défense.

 Pourquoi la Chine n’a-t-elle construit qu’un seul Xia ?

La véritable interrogation, pour moi, est que la Chine ait construit un SNLE. Les sous-marins à propulsion nucléaire étaient bien au-delà des capacités de la République Populaire naissante et le résultat — le SNLE Type 092 ou XIA — était un système militaire lamentable.

Les programmes de SNLE XIA et de missile balistique JL-1 ont été profondemment troublés par des problèmes, comme le démontre le document de John Lewis et Xue Litai : China’s Stategic Seapower. La version courte est que le sous-marin lui-même était extrêment bruyant, pendant que le missile avait une portée courte et un passé d’échecs lors des essais. Ces limitations signifiaient que le concept opérationnel des SNLE frisait la crédulité, comme Zhang Aiping le soulignait devant les concepteurs :

Lors d’une rencontre à la First Academy en avril 1975, Zhang Aiping a repoussé l’idée que l’Armée Populaire de Libération (APL) puisse envoyer un sous-marin aussi loin que la mer d’Arabie pour lancer un missile. Même de là, l’endroit d’Asie le plus proche, pour un sous-marin tirant sur Moscou, la distance de la capitale Soviétique aurait été trop grande pour le JL-1. Zhang a conclu ave le jugement que julang shangan [la Grande Vague (JL-1) devait aller à terre], et tous les participants ont accepté sa décision.

Plus encore, je soupçonne que certains avaient de réelles inquiétudes que mettre des armes nucléaires en mer puisse fondamentalement compromettre le contrôle des dirigeants sur ces armes. La Chine exerce en général un contrôle assez strict sur ses têtes nucléaires, gardant les têtes stockées séparément de ses missiles, apparemment dans des endroits différents. Une force de dissuasion basée en mer mettrait en danger ces arrangements de précaution, exigeant un degré de confiance dans les commandants d’unités plus grand que celui que Pékin a montré jusqu’à présent.

Bien sûr, des pays ont construit de tous temps des armes stupides ou inefficaces. Les problèmes du XIA ne se sont pas déroulés dans un vide, mais plutôt à l’intérieur d’une compétition entre bureaucraties. Et ces intérêts bureaucratiques pourraient avoir été suffisants pour perdre un système même aux capacités modestes.

Ce qui s’appelle maintenant le Département Général de l’Armement (à l’époque un fief presque autonome qui s’appelait COSTIND) a joué un rôle central dans la recommandation du développement des armes nucléaires et conserve, je pense, une influence substantielle sur les décisions concernant la politique des armes nucléaires, la posture et la doctrine. Toute inquiétude que la Commission Militaire Centrale pourrait avoir sur le relachement des arrangements de contrôle et de commandement en plaçant des armes nucléaires à bord de sous-marins devrait dépasser un désir bureaucratique de ceux qui conservent actuellement la garde des armes nucléaires — soit le Département Général de l’Armement, — soit le Second d’Artillerie, soit les 2 — pour préserver leur contrôle et, probablement, leur influence.

La marine de l’APL pourrait avoir été un soutien faible, ou peut-être peu enthousiaste, d’une dissuasion basée en mer, compte tenu des concepts opérationnels d’une certaine manière rigides et le besoin pressant de dépenser de l’argent pour la modernisation de la Marine dans son ensemble.

En regardant en arrière, il n’est pas difficile de considérer le SNLE XIA comme une sorte de “projet scientifique” rêvé par une bureaucratie de l’armement ambitieuse qui semblait moins attirant dans la lumière froide du marin. De toutes manières, lorsque Deng Xiaoping a consolidé son pouvoir à la fin des années 70, début des années 80, les dépenses militaires ont diminué et plus d’importance a été donnée aux armes conventionnelles. Les projets d’un second sous-marin ont été retardés puis, finalement, annulés.

 Les choses pourraient être différentes

Le sous-marin de la classe JIN est probablement beaucoup plus puissant que le SNLE XIA. Quelles sont ses capacités est un sujet qui sera abordé dans une autre chronique, mais au minimum, je ne m’attends pas à entendre des histoires de marins qui ne pouvaient pas dormir parce que le sous-marin fait trop de bruit.

L’ONI prédit 5 sous-marins en se basant, autant que Hans Kristensen peut se l’imaginer, sur l’idée que c’est ce qui aurait un sens — de nouveau, en partant du principe que nous sommes ceux qui prennent les décisions.

Mais nous — je veux dire les analystes Américains, ceux qui scrutent la Chine et les stratégistes nucléaires en fauteuil — ne prenons pas les décisions, ce sont plutôt les responsables militaires Chinois et les cadres du parti. Et les intérêts des protagonistes Chinois reflètent probablement leurs propres positions bureaucratiques plutôt qu’une analyse impartiale de la situation.

C’est aussi vrai pour l’ONI, qui n’est pas sans avoir sa propre perspective bureaucratique sur la croissance de la Marine Chinoise. Cela ne veut pas dire que les employés de l’ONI sont cyniques ou se trompent, mais seulement que les décisions que l’on prend dépendent souvent de l’endroit où l’on se trouve.

L’idée de garder en mer un sous-marin avec une douzaine ou plus d’armes nucléaires est une posture très différente pour la Chine, qui pourrait probablement ne survenir qu’avec des changements substantiels sur qui prend les décisions sur les forces stratégiques en Chine. Si la Chine conserve ses nouveaux missiles mobiles basés à terre disons “assemblés et au garage” avec les têtes nucléaires à un autre endroit, alors peut-être que la Chine va aussi garder ses SNLE au port et loin des plateformes ASM Américaines cherchant un peu d’entraînement. On pourrait imaginer une force d’un ou deux sous-marins qui ne patrouilleraient que rarement, si toutefois même ils le font.

Cette force serait très vulnérable, mais elle reproduirait l’équilibre de base que nous voyons actuellement en Chine entre la préparation, d’un coté, et, de l’autre, le contrôle des dirigeants.

Bien sûr, certaines des structures bureaucratiques qui sont à la base de l’absence de posture d’alerte de la Chine ont subi des changements substantiels alors que le pays se modernisait. L’ancien COSTIND, qui était tellement corrompu et touché par le népotisme qu’il aurait fait rougir Dick Cheney, a été transformé en Département Général de l’Armement dans le cadre d’un effort de longue haleine de l’APL pour reprendre le contrôle de cette unité quasi-autonome. Le niveau avec lequel le DGA concurrence ou coopére avec le Second Artillery n’est pas véritablement clair pour moi, bien que les choses puissent être moins grincheuses que lorsque le COSTIND regardait l’APL de la même manière que le loup regarde un mouton.

Le Second Artillery est beaucoup plus professionnel aujourd’hui, comme la marine. Ce professionnalisme pourrait permettre une plus grande délégation de l’autorité de lancement, ou un effort destiné à arracher le contrôle des programmes stratégiques du pays.

D’un autre côté, laisser des officiers de terrain relativement jeunes avec des missiles réels et des armes nucléaires réelles n’est pas quelque chose que Second Artillery ait jamais fait — à l’exception de l’essai de lancement de 1964 avec une tête nucléaire réelle sur un missile DF-2.

En l’absence de preuve que la Chine envoie en patrouille des armes nucléaires sur le terrain sur une base quotidienne, il est difficile de voir pourquoi un nouveau système — par sa seule existence — conduirait à un changement de posture. Il me semble qu’envoyer la dissuasion en mer ferait plutot partie d’un changement plus large dans la manière dont les dirigeants Chinois considèrent les armes nucléaires.

 Attendre les preuves

Tout ceci est un plaidoyer pour la patience. Nous ne pouvons pas, je pense, considérer que les schémas opérationnels de la Chine vont ressembler aux notres seulement parce que nous sommes si géniaux.

Les dirigeants Chinois ont leurs propres concepts, des querelles bureaucratiques et leurs arrières à protéger. Tout à ce jour suggère que l’impératif technologique de développer des systèmes ne conduira pas à ce que les forces Chinoises restent en alerte.

En particulier, je suis intéressé par la suggestion de la DIA que la Chine pourrait continuer à utiliser le XIA au coté d’une flotte de 2 sous-marins de la classe JIN. Un de mes collègues a remarqué que la Chine conserve une sorte d’approche “artisanale” dans le développement des armes — construisant quelques missiles, effectuant quelques petits changements, en construisant quelques uns de plus — qui est différent de notre propre système d’achats militaires.

Bien sûr, la Chine pourrait choisir de construire une petite flotte de sous-marins, d’envoyer les SNLE rôder dans les profondeurs du Pacifique pendant que les missiles DF-31 défoncent les autoroutes locales. Un arsenal nucléaire Chinois plus alerte exigerait des décideurs de Washington de considérer d’une façon très différente les armes nucléaires de la Chine — quelque chose d’autre dont je parlerai plus tard.

Par le Dr Jeffrey Lewis, Directeur de la Nuclear Strategy and Nonproliferation Initiative à la New America Foundation.

Notes :

[1Defense Intelligence Agency : les services secrets du Pentagone.

Source : ArmsControlWonk (Etats-Unis)