Entre l’Océan et l’Espace

  • Dernière mise à jour le 7 juillet 2007.

Un des derniers jours de juin 2007, Anatoli Perminov, directeur de l’Agence spatiale russe, présentait ses meilleurs voeux àIouri Solomonov, directeur de l’Institut de technique thermique. La cause : le tir du missile de stationnement naval Boulava, conçu dans ce centre de recherche, s’était déroulé comme prévu depuis un sous-marin en plongée. Ce n’est qu’au premier abord qu’il peut sembler bizarre qu’un test somme toute ordinaire bénéficie d’une telle attention.

Mais ce n’est pas un hasard si le responsable des programmes spatiaux russes a félicité les concepteurs de ce missile naval. Le tir réussi du Boulava du 27 juin mettait un terme à la suite d’échecs dans le programme d’essais de cet engin. Ce tir permet également d’espérer la renaissance, depuis longtemps attendue, de l’élément naval de la "triade nucléaire" russe.

Car, historiquement, d’abord l’URSS puis la Russie ont toujours privilégié l’élément "terrestre" de cette triade, minimisant à dessein la portée, pour la défense nationale, de l’aviation stratégique et des porte-missiles sous-marins.

Il y a, selon toute vraisemblance, plusieurs causes à cela. Premièrement, le développement des forces terrestres avait toujours notablement devancé celui des forces navales. Deuxièmement, les bombardiers stratégiques soviétiques avaient du mal à rivaliser d’égal à égal, il faut bien l’avouer, avec les meilleurs échantillons au service de l’adversaire potentiel. Et, l’essentiel, les vecteurs, navals et aériens, eux-mêmes des produits de très haute technicité, exigent à leur tour une logistique de très haut niveau, et non financée suivant le principe consistant à racler les fonds de tiroirs. La logistique a toujours été le défaut de la cuirasse de notre armée.

Mais il serait faux d’affirmer que le gouvernement soviétique n’a pas accordé assez d’attention aux missiles navals. Dans un délai réduit au maximum, l’URSS a réussi à devancer les Etats-Unis quant au nombre de sous-marins nucléaires et de missiles qu’ils portaient à son bord, bien sûr au prix d’un effort surhumain et de dépenses matérielles incroyables. Il est vrai aussi que le résultat était plutôt politiquement dissuasif que purement militaire.

Voici un extrait de la Déclaration concertée de 1979 pour le Traité sur les limitations des armements stratégiques offensifs (START-2) : "Les missiles balistiques modernes des sous-marins sont : pour l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques - les missiles installés à bord des sous-marins nucléaires rendus opérationnels après 1965 ; pour les Etats-Unis d’Amérique, les missiles installés sur tous les sous-marins".

Les "nobles" Américains ont superbement méprisé la première génération des armes navales soviétiques, estimant, non sans raison d’ailleurs, qu’elles ne présentaient aucune menace pour eux. Les dirigeants soviétiques s’en rendaient parfaitement compte. Voilà pourquoi en avril 1962 ils s’y sont attaqués pour de bon, confiant la conception d’un nouveau missile naval, R-27, au Bureau d’études dirigé par Vladimir Makeev. Parallèlement, on créait un nouveau sous-marin, de type Navaga.

En septembre 1967, le premier tir d’un missile depuis un sous-marin a enfin eu lieu. Six jours après, deux missiles à la fois partaient dans le ciel à leur tour. Une salve de huit R-27 a suivi, en décembre 1969. Les porte-missiles de type Navaga constituent la série la plus nombreuse des sous-marins stratégiques soviétiques. En 1975, l’Union soviétique devance les Etats-Unis pour le nombre de sous-marins et de missiles qu’ils portent. Voici un petit tableau comparatif :
 1960 : Etats-Unis : 3 sous-marins et 48 missiles (3-48) ;

URSS : 0-0 (le premier sous-marin soviétique avec 3 missiles à son bord, le K-19, entre en service en novembre 1960).

 1967 : Etats-Unis 41-656 ; URSS 2-32

 1970 : Etats-Unis 41-656 ; URSS 20-316

 1975 : Etats-Unis 41-656 ; URSS 55-724

 1981 : Etats-Unis 40-648 ; URSS 62-950.

Cela va sans dire, cet accroissement spectaculaire, qui a pris quelques années seulement, des armements stratégiques, est impossible sans laisser de traces en termes de qualité surtout. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre, les chantiers navals soviétiques fabriquaient des sous-marins, se guidant uniquement sur le principe : le plan à tout prix ! Ceci étant, des infrastructures pourtant nécessaires pour la flotte des sous-marins étaient souvent négligées, le développement des bases navales et des centres de réparation accusait du retard. Et plus, le système de formation du personnel ne résistait à aucune critique. Tout cela, associé à la qualité médiocre de la construction, avait pour résultat le fait que, malgré leur supériorité numérique, les sous-marins soviétiques en patrouille étaient moins nombreux que les sous-marins américains. La plupart du temps, de nombreux engins subissaient des réparations dans des docks.

Même les préparatifs pour la sortie en mer étaient souvent assortis de nombreuses négligences. Par exemple, le commandant d’un Navaga de la Flotte du Nord, pour ne pas rater l’heure de sortie en patrouille, a dû, raconte-on, se soucier lui-même de l’armement de son sous-marin, acheminant à son bord, grâce à une remorque attelée à son cyclomoteur Ural, deux torpilles dont chacune était en mesure d’anéantir la moitié de l’Europe. A cette même fin, prétend-on, l’état-major du Service logistique de la Flotte lui avait promis une ambulance, mais celle-ci s’est égarée quelque part.

Force est de reconnaître que l’URSS ne s’est jamais débarrassée de sa mégalomanie. Par exemple, en réponse au système américain Ohio-Trident, elle a conçu un immense sous-marin Akoula (Typhon d’après l’OTAN), de 33.000 t de déplacement, avec 20 solos pour de très encombrants R-39 à combustible solide et ayant une masse au départ de 90 t. Ce sous-marin américain portait, avec un déplacement nettement moindre, de 18.700 t, 24 missiles Trident. Il était plus discret et, par conséquent, avait une plus grande capacité de survie.

Il est donc souhaitable que, face aux menaces d’aujourd’hui qui exigent une disponibilité permanente, le déploiement de la nouvelle arme stratégique navale se déroule compte tenu des leçons de l’histoire récente.

Par Andreï Kisliakov, RIA Novosti

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l’auteur.

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