Le grand retour de la guerre sous-marine entre l’OTAN et la Russie

  • Dernière mise à jour le 23 octobre 2017.

A la fin mai, le Krasnodar, un sous-marin classique russe, a quitté les côtes de Libye, s’est dirigé vers l’est de la Méditerranée, puis a disparu en plongée, discret comme une souris. Alors, il a lancé des missiles de croisière vers la Syrie. Dans les jours qui ont suivi, le sous-marin a été pisté par les 5 bâtiments d’escorte du porte-avions USS George H.W. Bush, des hélicoptères MH-60R Seahawk et des avions de lutte anti-sous-marine P-8 Poseidon basés en Italie.

Les États-Unis et ses alliés de l’OTAN ont déployé d’importants moyens pour suivre le Krasnodar pendant son transit entre la Russie et son nouveau port-base en mer Noire. Le lancement des missiles a marqué la fin de ce qui était jusque là un voyage de routine, et déclenché l’une des premières missions de pistage d’un sous-marin russe au combat depuis la fin de la Guerre Froide. Au cours des semaines suivantes, le sous-marin a par moments échappé à toute détection dans une mission de pistage qui a mis à l’épreuve la préparation des alliés occidentaux dans une nouvelle ère de la guerre navale.

Une résurgence inattendue de l’activité sous-marine russe, qui s’était détériorée après l’éclatement de l’Union Soviétique, a relancé la rivalité sous-marine de la Guerre Froide, pendant laquelle les 2 côtés ont déployé des flottes de sous-marins d’attaque pour pister les sous-marins rivaux transportant des missiles nucléaires.

En plongée, les sous-marins peuvent être entendus, mais pas vus. Et la Russie prétend que ses nouveaux sous-marins sont les plus silencieux au monde. La coque du Krasnodar est recouverte d’une peau absorbant les émissions sonar, son système de propulsion est monté sur plots élastiques, ses batteries rechargeables le propulsent dans un silence quasi-absolu, laissant peu de son aux chasseurs de sous-marins. Les alliés le surnomment le “trou noir”.

« Plus vous améliorez le silence des sous-marins et leur capacité à se déplacer discrètement en plongée, plus il devient difficile de les détecter, » explique le Capt. Benjamin Nicholson, qui supervise la lutte anti-sous-marine et anti-surface pour le groupe de l’USS Bush. « Pas impossible, seulement plus difficile. »

Au cours des 2 dernières années, le soutien apporté par la Russie à la Syrie du président Bashar al-Assad a donné à la marine russe plusieurs opportunités de tester des missiles de croisière depuis les nouveaux sous-marins. Mettant ainsi au défi les États-Unis et leurs alliés.

Des hauts responsables de l’OTAN estiment que l’alliance doit envisager d’investir dans les sous-marins et les technologies de lutte anti-sous-marine. Un rapport rédigé cette année par un centre de réflexion, le Center for a New American Security, a attiré l’attention des responsables de l’OTAN : les États-Unis et leurs alliés ne sont pas préparé à une guerre sous-marine contre la Russie.

« Nous dominons toujours dans le monde sous-marin, » souligne le général Curtis Scaparrotti, commandant de l’OTAN en Europe. « Mais nous devons aussi nous focaliser sur la modernisation des équipements que nous avons et améliorer nos compétences. »

L’US Navy, qui pendant des années se contentait d’entraîner ses équipes de lutte anti-sous-marines dans des exercices et des simulateurs, a recommencé à pister les sous-marins russes en mer Baltique, Atlantique Nord et Méditerranée. Le défi s’étend au-delà de la Russie, qui a vendu des sous-marins à la Chine, à l’Inde et ailleurs.

« Rien ne vous aide mieux à vous améliorer que de le faire dans la réalité, » explique le Capt. Nicholson.

 Un pistage le long de l’Europe

Le 6 mai dernier, après un dernier lancement de missiles de croisière depuis la mer Baltique, le ministère russe de la défense a annoncé que le Krasnodar devait rejoindre la flotte de la mer Noire, à Sébastopol en Ukraine.

Le sous-marin naviguant en surface, était accompagné par un remorqueur. Les États-Unis et l’OTAN ont mis en place un plan pour pister le sous-marin grâce à des avions de patrouille maritime et des navires de surface.

« Même si vous suivez un sous-marin en transit qui n’essaie pas de se cacher, cela demande de la coordination et des moyens, » souligne le Capt. Bill Ellis, qui commande les avions de lutte anti-sous-marine américains en Europe.

Une force maritime de l’OTAN, conduite par une frégate néerlandaise, a commencé le pistage. La frégate a envoyé un hélicoptère NH-90 pour prendre une photo du sous-marin en mer du Nord, et l’a ensuite publiée sur Twitter.

La surveillance du Krasnodar est ensuite revenue le 5 mai à la frégate britannique HMS Somerset, au moment où le sous-marin passait au large des côtes néerlandaises.

Le Krasnodar a emprunté la Manche et contourné la France et l’Espagne, où un patrouilleur espagnol a pris la relève.

Lorsque le sous-marin a atteint Gibraltar, un croiseur de l’US Navy a surveillé l’entrée du sous-marin en Méditerranée le 13 mai. Un avion P-8 Poseidon, décollant de la base de Sigonella en Sicile, a aussi participé à l’opération.

« Nous voulons voir où il va, » explique le Capt. Ellis. « A tout moment, le sous-marin peut plonger et disparaitre. Donc nous voulons le suivre. »

Alors que le Krasnodar poursuivait sa route vers l’est, le ministère russe de la défense a informé les compagnies aériennes qu’il effectuerait des exercices au large de la Libye. Pour les responsables américains, il s’agissait de présenter à des acheteurs potentiels (dont l’Égypte) les capacités des missiles de croisière.

Quelques jours plus tard, le ministère russe de la défense annonçait que des missiles de croisière lancés depuis le sous-marin avaient frappé des cibles de l’Etat Islamique et tué des militants à côté de Palmyre. Soudain, une mission de routine devenait beaucoup plus sérieuse.

Les forces américaines et russes se croisent au large de la Syrie, chacune avec son propre but. Le champ de bataille est donc devenue plus compliqué. Les Russes ont seulement donné des avertissements limités à la coalition américaine. Les Etats-Unis et leurs alliés sont donc forcés de surveiller de près les sous-marins russes navigant en Méditerranée.

Des sous-marins d’attaque comme le Krasnodar, armés de torpilles et de missiles de croisière, peuvent constituer une menace tangible pour les porte-avions, qui sont le moyen privilégié par les Américains pour leur projection de force dans le monde.

Le 5 juin, le porte-avions USS Bush et son groupe d’escorte a emprunté le canal de Suez pour entrer en Méditerranée. Sa mission était de soutenir les rebelles syriens et d’attaquer les positions de Daesh.

Alors que le Krasnodar essayait d’échapper à toute surveillance, la mission de l’USS Bush était aussi de pister le sous-marin et d’en apprendre plus sur lui : ses tactiques, techniques et rythmes de combat.

A ce moment, le Krasnodar avait déjà plongé et a commencé le jeu du chat et de la souris. Des marins et des aviateurs avec peu d’expérience du monde réel ont commencé une course de vitesse.

« C’est une indication du changement de dynamique. Une compétence, à laquelle nous n’avons pas consacré beaucoup de temps ces 15 dernières années, fait son grand retour, » souligne le Capt. Jim McCall, commandant de la chasse embarquée sur l’USS Bush.

 Dans les profondeurs

Le Krasnodar a été conçu pour opérer près des côtes, invisible et capable de frapper des cibles à près de 2.500 km. Les eaux situées au sud de Chypre, à portée de la Syrie, lui donnent un large espace où se cacher.

Trouver un sous-marin classique, qui navigue en plongée sur ses batteries, est extrêmement difficile. Combien de temps, d’heures ou de jours, le Krasnodar peut-il naviguer en plongée avant d’avoir besoin de recharger ses batteries est un secret bien gardé. Ni les responsables russes, ni l’US Navy, qui doit en avoir une bonne idée, ne veulent en parler.

Pour des spécialistes occidentaux, le sous-marin doit probablement utiliser ses moteurs diesel tous les 2 jours pour recharger ses batteries. Alors, il est beaucoup plus facile à détecter.

Le Krasnodar n’est probablement pas une menace pour un porte-avions. Mais l’US Navy ne veut prendre aucun risque. « Un seul petit sous-marin a la capacité d’endommager un bâtiment précieux comme un porte-avions, » précise le Capt. Ellis, commandant de la force des P-8.

En juin, une escadrille de MH-60R Seahawk a décollé du pont de l’USS Bush. Certains utilisaient leur radar à la recherche de signes du Krasnodar en surface. D’autres utilisaient leur sonar immergé à des profondeurs variables. Les radars de l’US Navy peuvent détecter des objets aussi petits qu’un périscope.

Pour le Cmdr. Edward Fossati, le commandant de ces hélicoptères, si les sous-marins russes sont devenus plus silencieux, le jeu de chat et de la souris reste tout de même équilibré : « nous aussi, nous sommes devenus meilleurs que nous l’étions il y a 20 ans. »

Le 30 juillet, le Krasnodar a fait surface pour une escale à Tartous. Et le 9 aout, il a accosté en Crimée.

Source : The Australian