Le sous-marin nucléaire qui écoute les portables

  • Dernière mise à jour le 11 juin 2007.

C’est une descente dans un passage long et étroit dans la bête. Toujours plus bas, l’échelle penchant improbablement vers vous, puis verticale de nouveau, et finalement vous y êtes : une coursive étroite, claustrophobique avec une jungle de câbles et de tuyaux au plafond. Bienvenue àbord du HMS Astute, le premier d’une nouvelle classe de sous-marins nucléaires d’attaque de la Royal Navy depuis près de 20 ans.

L’Astute, lancé vendredi dernier, est une véritable bête sauvage. Il mesure 106 m de long, déplace 7.400 tonnes, et contient un réacteur nucléaire qui pourrait alimenter 10.000 maisons. Recouvert de tuiles acoustiques noires, il ressemble à un bodybuilder dans une combinaison de plongée.

Dans le langage de Tom Clancy, c’est un “hunter-killer” (chasseur – tueur), restant indétectable pendant qu’il recherche d’autres sous-marins ou protège les nôtres. Mais il a d’autres tours dans sa manche : il peut, par exemple, lancer des missiles de croisière Tomahawk ou se tenir au large et intercepter les appels des téléphones mobiles.

L’Astute est certainement capable d’infliger des dommages, mais jusqu’à récemment, il semblait qu’il ferait plus de mal à son constructeur, BAE Systems, qu’à n’importe quel ennemi. Vers 2001, il était devenu un exemple classique d’un nouveau programme de défense allant mal, dépassant les budgets et les calendriers de manière importante. Les discutions quant à savoir qui était responsable a conduit à une explication publique et vive entre le ministère de la défense et BAE.

Mais l’Astute – et le chantier BAE de Barrow in Furness, la seule installation de construction de sous-marin de Grande-Bretagne – a connu une reprise dans un remarquable retournement de situation qui combinait un changement dans la culture de l’entreprise, l’aide d’experts extérieurs, et une réévaluation des engagements de BAE avec le ministère.

Mais l’histoire de comment l’Astute a déraillé, et comment il s’est rétabli ensuite, donne un aperçu des problèmes permanents des contrats de défense importants, techniquement difficiles, et contient des leçons sur la manière dont la Grande-Bretagne devrait se préparer à la construction de la prochaine classe de sous-marins nucléaires, qui seront équipés dans 20 ans de la prochaine génération de la dissuasion nucléaire.

Pour comprendre l’Astute – et une partie de la complexité corollaire de la construction d’un sous-marin nucléaire moderne – cela aide d’avoir un accompagnateur. Le Sunday Times a descendu l’échelle mardi, 4 jours avant le lancement, une des dernières visites par un civil avant que le sous-marin entre en service.

Le cœur du sous-marin, le centre de commandement, est impressionnant. La salle des torpilles ressemble à celles que vous avez vu dans les films, avec des maquettes de missiles alignés derrière les tubes lance-torpilles. Mais l’équipement réellement intéressant se trouve dans un petit compartiment juste derrière l’avant du sous-marin. C’est un espace étroit, triangulaire recouvert de tuiles acoustiques. Derrière, le rêve des fanas de haute-fidélité, une forêt dense de ce qui ressemble à des hauts-parleurs de 12 cm qui reposent contre la coque, s’étendant sur les 2 côtés.

Ce sont des hydrophones, les oreilles du système sonar du sous-marin. Les sous-marins se reposent sur leur sonar, et dans ce compartiment se trouve une partie du matériel qui va, prétendent les constructeurs, permettre à l’Astute de naviguer dans la Manche et d’entendre un paquebot quittant New York. Peu de personnes reviendront de nouveau dans ce compartiment. Une fois que le sous-marin flotte, le compartiment sera inondé.

L’Astute a commencé sa vie il y a 10 ans, quand un contrat de 2 milliards de £ a été attribué à GEC-Marconi, qui était alors propriétaire du chantier de Barrow. BAE a acheté les activités de défense de GEC-Marconi en 1999, et peu après, les problèmes avec le programme des sous-marins ont commencé à apparaître.

Barrow avait eu une longue période sans travail, et avait mené les enchères de façon trop agressive sur le contrat Astute. Des compétences vitales avaient aussi été perdues, et un système de conception assisté par ordinateur, dans lequel on avait placé beaucoup d’espoir, s’est révélé inadapté pour ce travail particulier. Les dirigeants de BAE ont déclaré que le système se bloquait de temps en temps et avait besoin de beaucoup de temps pour être mis à jour. L’Astute avait acquis une réputation de gouffre sans fond pour les finances publiques.

Les choses sont arrivées à un sommet en 2001. Les efforts pour parvenir à un accord sur l’Astute et sur un autre problème dans un contrat de défense, la remise en état des avions de patrouille maritime Nimrod, ont finalement échoué. Le ministère Britannique de la défense a forcé la main de BAE en publiant un communiqué, poussant la compagnie à publier un profit warning et à annoncer une éventuelle perte de 250 millions de £ sur le seul Astute. La guerre des mots ont continué pendant des semaines, le ministère prenant la décision sans précédent d’engager la banque d’investissement UBS pour le conseiller pour les tactiques à suivre.

BAE a renouvelé la direction de sa division de construction navale, et réembaucher Murray Easton, un Ecossais charismatique qui avait démissionné quelques mois auparavant, pour gérer les sous-marins. A la même époque, il a négocié un nouveau contrat avec le ministère, qui partageait les risques sur le contrat et donnait à BAE l’espoir de parvenir à un petit profit si le travail se terminait correctement.

Easton, un fondu d’escalade, compare les défis qui lui faisaient face avec “une cascade de glace ”. “Vous levez les yeux et vous pensez, est-ce que je peux le faire ? J’ai vraiment pensé que cela pouvait tourner au vinaigre – j’ai pensé qu’ils devraient terminer l’Astute [le premier de ce qui allait être une série de 8 sous-marins], mais pour le reste . . . nous savions tous ce qui était arrivé au programme Sea Wolf.” Le Sea Wolf, une nouvelle classe de sous-marins d’attaque Américains, a été annulée après que seuls 3 aient été construits.

Easton a fait appel à une aide extérieure. General Dynamics, le groupe Américain dont la filiale Electric Board construit des sous-marins pour l’US Navy, a aidé à corriger les problèmes de conception et de construction, et a participé à une évaluation complète du programme.

Easton a aussi demandé l’aide de Organisational Resources, une firme de consultants, pour secouer l’immobilisme qui avait recouvert les travailleurs de Barrow. Un simple système de bonus – une première à Barrow – a été mis en place, et les travailleurs ont désormais un petit carnet qui fixe les objectifs de l’année. L’année dernière, il était de 1.100 £ par salarié, l’année précédente 1.800 £.

Les changements à Barrow sont résumés par l’atelier de tuyauterie, qui fabriquent les kilomètres de tuyaux – de toutes formes, tailles et matériaux – utilisés à bord des sous-marins. Jusqu’à il y a 18 mois, c’était une opération à l’ancienne mode. Les tuyaux étaient réalisés de manière à utiliser au mieux les matériaux, signifiant qu’il y avait souvent un fond de stock attendant d’aller sur la ligne d’assemblage. La situation était devenu si chaotique que 3 ouvriers étaient employés à plein temps pour chercher parmi les tuyaux terminés – souvent juste posés par terre – pour trouver ceux dont on avait besoin.

Le problème a été réglé – de nouveau avec l’aide de consultants extérieurs – en investissant 1,2 million de £ pour passer à des cellules de production, un système courant dans l’industrie automobile et aéronautique. Le nombre d’heures nécessaire pour fabriquer un tuyau est passé de 14 à 4,5.

Le meilleur verdict sur Barrow, selon Easton, a été rendu par John Casey, le président d’Electric Boat. “Il est venu en mai pour visiter. Il a dit que nous avions fait en 2 ans et demi ce qui leur avait pris 20 ans.”

Malgré le retournement de situation, l’avenir de la classe Astute n’est pas encore assuré. Il reste encore beaucoup de travail avant que le premier sous-marin entre en service en 2009 dans la Royal Navy, et Easton garde son attention sur l’obtention du bonus inclus dans le contrat révisé.

Et il n’est pas encore clair combien de sous-marins seront construits. Au départ, ils devaient être 8. Il a maintenant été réduit à 7, bien que seulement 4 soient déjà contractualisés. Un accord de 200 millions de £ pour commencer le travail sur le quatrième a été signé au début de l’année. Easton souhaite que 7 puissent être construits. “On n’est pas certain qu’ils seront bien 7, mais pour plusieurs raisons, il faut que cela soit ce nombre. Pour les exigences opérationnelles de la Royal Navy, ils en ont besoin de 7 pour répondre à leurs missions.”

Il y a aussi une logique industrielle impérative, a-t-il indiqué. Une commande de 7 – un lancement tous les 22 mois selon les projets actuels de Barrow – mèneraient le chantier jusqu’au début de la construction de la nouvelle classe de sous-marins qui remplaceront la classe Vanguard, qui emportent la dissuasion nucléaire de Grande-Bretagne sous la forme de missiles Trident. Le 15 mars, le parlement a voté en faveur du maintien de la dissuasion, une nouvelle flotte de sous-marins étant le choix évident pour la transporter.

“Sept nous permettraient de conserver les ressources dont nous avons besoin pour construire la prochaine classe de sous-marins. Cela nous éviterait d’éviter la perte de compétence et d’expertise qui a été une source importante des problèmes que nous avons connu sur l’Astute.

“Si je cherche 5 techniciens expérimentés pour notre chantier, je ne peux pas sortir et en embaucher 5 – ils peuvent tout simplement pas exister. Ils sont difficiles à trouver, ou nous devons les former nous-même.”

La nouvelle confiance en elle de Barrow est telle qu’Easton jette désormais un oeil gourmand sur les contrats pour les 2 nouveaux porte-avions de la Royal Navy. Il veut que Barrow construise un des blocs – de larges sections de coque – qui constitueront les nouveaux sous-marins. L’annonce du lancement du programme de 4 milliards de £ est attendue avant la fin du mois prochain.

Source : The Times (Grande-Bretagne)