Missile Bulava : état critique

  • Dernière mise à jour le 7 mars 2007.

Aujourd’hui, peu de gens se souviennent que le missile Bulava était un projet ’surprise’ de la Marine Russe. Au départ, la Marine Russe prévoyait de développer un nouveau missile àcarburant solide - le ’Bark’ - destiné àses sous-marins avancés.

Mais, à l’automne 1997, un missile Bark a explosé au cours d’un lancement d’essai, et le président Russe de l’époque, Boris Eltsine a ordonné que le centre de conception des missiles V.P. Ma-keyev suspende le projet. Cela a été fait, mais pas sans l’implication du Maréchal Igor Sergeyev, commandant en chef des forces de missiles stratégiques, qui avait depuis longtemps des contacts avec le Moscow Institute of Thermal Technology (MITT).

Les directeurs du MITT ont promis au ministère de la défense qu’ils créeraient un nouveau missile ballistique lancé depuis un sous-marin en un temps très court. En outre, les directeurs du MITT ont indiqué qu’ils le construiraient à partir du missile Topol-M. Ils ont aussi promis de réduire les coûts, en particulier en réduisant le nombre de lancements d’essai de 15 à 10. La décision présidentielle a été soutenue par le programme de développement de la force nucléaire stratégique et approuvée par le conseil de sécurité de la république de Russie.

Quinze ans de travail sur le projet Bark, qui avait nécessité des ressources financières importantes, ont été abandonnés. Bien que le missile ait été terminé à 70 ou 75%, l’échec des essais a conduit à l’abandon du projet. Aujourd’hui, le missile Bulava est à égalité avec le Bark en nombre d’échecs de lancement. Non moins problématique est la question des sommes colossales investies pour modifier la conception des sous-marins Borei pour les adapter au missile Bulava.

 Le verre de la Marine est à moitié plein

Trois échecs consécutifs du missile ballistique intercontinental Bulava sont dans la norme, a déclaré Sergei Ivanov, ancien ministre de la défense et désormais vice-premier-ministre supervisant les secteurs de l’industrie liés à la défense. Ivanov a effectué cette déclaration devant la chambre basse du Parlement, la Douma.

"Si le missile avait été mis en service et qu’ensuite il ait mal fonctionné, cela aurait été un cauchemar," a-t-il indiqué. "Mais nous ne l’avons pas encore mis en service."

Dire que les lancements ratés n’aient été que des lancements d’essai, est correct, mais les échecs mettent en lumière, non pas des problèmes précis de conception, mais des mauvais calculs dans la décision de créer un seul système d’arme.

Le missile R-30 à propulsion solide (Bulava-30) est la version sous-marine du missile Russe le plus moderne, le Topol-M (SS-27). Il a un poids au lancement de 30 tonnes et une portée de 8.000 kilomètres. Le missile peut être équipé d’un maximum de 10 têtes MIRV [1]. Chacune serait capable de mettre en échec les systèmes de défense anti-missiles actuels ou futurs. Comme le disait le Président Vladimir Poutine, "avec un tel système, cela ne fait aucune différence qu’il y a un bouclier anti-missile ou pas."

Les concepteurs disent que les missiles Topol-M et Bulava seront suffisants pour la dissuasion jusqu’au moins 2040, formant la base des forces nucléaires Russes pour les 35 prochaines années. Les missiles seraient capables de résister à une frappe nucléaire ou à une tentative de les détruire avec des lasers.

Et donc ce missile de nouvelle génération, approuvé au plus haut niveau, a dévié de sa trajectoire une minute après le lancement le 7 septembre 2006 et est tombé en Mer Blanche. Une commission spéciale du gouvernement a conclu que la cause de l’échec était un mauvais fonctionnement du système de contrôle.

Puis, le 25 octobre, un autre missile R-30 a dévié de la trajectoire prévue et s’est auto-détruit.

Le 24 décembre, le missile Bulava a une fois encore montré son comportement erratique, tombant dans les eaux arctiques peu après le lancement.

Tous les échecs de lancement se sont produits à partir du Dmitry Donskoi, un SNLE de la classe Typhoon situé en Mer Blanche.

 Le Bulava devient véritablement un "missile en or"

La production de série du Bulava doit être lancée dans l’usine de Votkinsk dans la république d’Oudmourtie, qui construit actuellement les missiles Topol-M. Les nouveaux missiles seront utilisés sur les nouveaux sous-marins de la classe Borei (Projet 955). Actuellement, 3 SNLE sont en construction au chantier de Severodvinsk - le Yury Dolgoruky, l’Alexander Nevsky, et le Vladimir Monomakh. Le premier de la série devait être admis au service actif en 2006, mais la date butoir a été retardée à 2007 puis de nouveau à 2008.

Quoi qu’il en soit, il reste encore suffisemment de temps pour corriger les problèmes du missile Bulava. Il ne doit y avoir ni précipitation ni économie, indiquent des militaires proches du dossier.

Selon toutes les indications, l’argent semble manquer. Par exemple, le commandant en chef de la Marine Russe, l’amiral Vladimir Masorin a déclaré que "le missile Bulava est très coûteux, donc les experts militaires et les scientifiques vont tester, optimiser les essais et réduire le nombre de lancement autant que faire se peut." Mais réduire encore plus le nombre de lancements va clairement trop loin : comme dit le provèbe bien connu, un avare paie toujours 2 fois.

 Sauter le canon

Quel est le problème du Bulava ? Certains observateurs en attribuent l’origine aux spécialistes du MITT, qui développent le missile ballistique, parce qu’ils n’auraient aucune expérience de telles technologies puisqu’ils ont seulement travaillé sur des missiles basés à terre. C’est une conclusion inexacte.

Le bureau de conception Makeyev a développé plus d’un missile pour sous-marins. Tous les lancements d’essai (en plongée comme en surface) ont été réussis. Ces essais ont commencé en 2003 en Mer Blanche avec un missile non armé lancé depuis le Dmitry Donskoi. En septembre 2004, une maquette de missile Bulava-30 a été lancée en plongée. Après le lancement, le Dmitry Donskoi a conservé l’immersion prévue, montrant par là que les développeurs avaient géré le problème des lancements en plongée.

Le véritable problème est le désir d’expédier le travail sur le missile et d’économiser des fonds. Cela explique la décision de supprimer les lancements d’essai à terre, passant directement aux lancements en plongée.

Le 27 septembre 2005, un missile réel (pas une maquette) a été lancé avec succès en surface. Ainsi, Sergei Ivanov, alors ministre de la défense, a juré de mettre en service le nouveau missile à la fin 2007. A cette époque, le ministre n’avait pas été immédiatement informé que la tête du Bulava n’avait pas atteint la cible prévue sur la péninsule du Kamchatka.

Le problème a été corrigé le 21 décembre 2005 lorsqu’un lancement réussi a été effectué en plongée.

 Priorités

Les responsables refusent de s’exprimer sur les problèmes du Bulava. Anatoly Perminov, le responsable de l’agense spatiale fédérale (Roskosmos), a probalement été le plus direct sur cette question. 2 jours après l’échec du lancement, il a déclaré au cours d’une conférence de presse, en particulier, qu’il était nécessaire d’améliorer les caractéristiques de vol du Bulava en portant une plus grande attention sur les ajustements "au niveau du sol" — ce qui, soit dit en passant, suit exactement les étapes qui avaient été supprimées pour des considérations économiqes.

La situation est des plus lamentable, considérant que les sous-marins du Projet 955 sont un programme prioritaire de la Marine Russe : en d’autres termes, il est supposé être financé aux dépends d’autres programmes (par exemple les frégates classe Gorshkov — projet 22350) avec toutes les conséquences que cela peut avoir.

Quoi qu’il en soit, Perminov a déclaré que le programme du missile Bulava-30 allait continuer comme prévu.

"Les essais de vol et en plongée vont être effectués. Certains réussissent, d’autres pas. Entre 12 et 14 lancements d’essai sont nécessaires avant que le missile puisse être mis en service," a-t-il déclaré.

Par conséquent, le nombre de lancements d’essai devrait passer de 10 à 14 ou 15, ce qui a récemment été confirmé par le ministère de la défense.

Bien que cela soit la limite pour remettre à plus tard l’admission au service de nouveaux SNLE, il semble que les militaires doivent attendre avant que le Bulava devienne une arme réelle, pas seulement un jouet.

Notes :

[1MIRV : multiple independently targetable reentry vehicle, Véhicule de rentrée à ogives multiples guidables indépendamment les uns des autres.

Source : JTW News