Les collisions impliquant des destroyers américains étaient évitables

  • Dernière mise à jour le 2 novembre 2017.

Les 2 collisions qui ont fait 17 morts et des dizaines de blessés, sont la conséquence du non-respect des procédures en vigueur dans l’US Navy et de mauvaises décisions prises par des officiers et des marins de quart en passerelle des 2 bâtiments, selon un rapport de l’US Navy.

La Navy a rendu public mercredi son premier rapport officiel sur les causes des 2 collisions survenues cet été, lorsque les destroyers Fitzgerald et John S. McCain ont heurté des navires de commerce dans des voies maritimes très empruntées dans le Pacifique.

Le rapport explique que les 2 collisions sont survenues après des défaillances critiques d’officiers et de marins de quart en passerelle. Il soulève des questions troublantes sur les compétences de base au sein de la 7è Flotte basée au Japon et de la marine de surface dans son ensemble.

Dans les 2 accidents, aucun des marins qui se trouvait en passerelle n’a déclenché l’alarme sonore destinée à prévenir le reste de l’équipage du danger, ce qui est une procédure standard de la Navy.

Les navires en mer doivent donner 5 coups courts de leur corne de brume pour alerter l’équipage et l’autre navire d’un risque de collision imminente. Dans aucune des 2 collisions, ce n’a été le cas. Aucun des membres de l’équipage, ni l’autre navire impliqué n’ont reçu le moindre avertissement que leur navire se dirigeait vers un désastre, indique le rapport.

Aucun des veilleurs en passerelle n’a cherché à entrer en contact par radio avec le navire qui s’approchait, ce qui est aussi une procédure standard.

Pourtant, les manquements qui ont conduit chaque navire à la collision sont spécifiques à chaque cas.

La collision survenue le 17 juin entre Fitzgerald et le ACX Crystal au large du Japon, est le résultat du non-respect total des garde-fous mis en place pour prévenir les accidents en mer, ainsi que la violation claire des ordres permanents qui prévoyaient d’informer le commandant lorsque des navires en approche constituent un risque de sécurité.

La collision le 21 aout entre le McCain et le pétrolier-chimiquier Alnic MC près du détroit de Malacca semble être le résultat d’une série d’erreurs commises par les veilleurs en passerelle et de lourds risques pris par le commandant dans une voie maritime chargée.

Même s’il est incomplet, le rapport rendu public met fin aux théories les plus folles apparues après les accidents, depuis le terrorisme jusqu’à des cyber-attaques chinoises ou russes.

Le rapport dévoile aussi l’étendue des dégâts subis par les 2 destroyers, avec pas moins de 14 compartiments complètement inondés sur le McCain et 17 sur le Fitzgerald.

Dans le cas du Fitzgerald, l’officier de quart n’a pas prévenu le commandant que le destroyer s’approchait du Crystal malgré les ordres permanents qui l’exigeaient. Sur le McCain, le commandant était présent en passerelle pendant tout le temps.

La Navy n’a pas rendu public toute l’enquête, mais seulement un résumé des conclusions, en raison de procédures légales en cours. Suite aux collisions, les 2 commandants et plusieurs autres membres d’équipage, ainsi que le chef d’escadrille et le commandant de la 7è Flotte, ont été relevés de leurs fonctions.

C’est la première fois depuis la 2è Guerre Mondiale qu’un commandant de flotte est relevé de ses fonctions.

 Collision de l’USS Fitzgerald

Les enquêtes sur les collisions du Fitzgerald et du McCain ont constatés des conditions très différentes pour aboutir au même résultat.

Alors que le Fitzgerald naviguait dans les eaux très empruntées au large du Japon, il a traversé un canal avec des règles de navigation spécifiques : un dispositif de séparation de trafic. Les cartes du destroyer ne comportaient pas les axes de navigation à respecter et est passé à plusieurs reprises sur l’avant de navires sortant du canal.

Avant la collision (qui a eu lieu à 1:30 du matin), le commandant du Fitzgerald était dans sa cabine. Le rapport énumère les nombreuses erreurs commises par l’officier de quart, chargé de la sécurité de la navigation.

A un moment, le Fitzgerald est passé à moins de 600 m sur l’avant d’un navire de commerce — moins de 4 fois sa longueur — mais l’officier de quart n’a jamais informé le commandant, une violation des ordres permanents qui exigent que le commandant soit appelé pour aider à gérer les situations compliquées et les conditions dangereuses.

Le commandant, le Cmdr. Bryce Benson, n’a appris que le Fitzgerald se dirigeait vers une collision que lorsque l’avant de l’ACX Crystal s’est enfoncé dans sa cabine. Il a ensuite été secouru par des membres d’équipage alors qu’il était suspendu à l’extérieur. Cela faisait moins d’un moins qu’il occupait son poste.

A aucun moment avant la collision, l’officier de quart n’a essayé d’entrer en contact par radio avec le Crystal. Et c’est moins d’une minute avant la collision qu’il a donné l’ordre de changer de router pour l’éviter.

Pendant ce temps, au Central Opérations du Fitzgerald, dont les différents écrans présentent les détections des systèmes d’armes et des radars, les veilleurs n’avaient pas réussi à « régler et ajuster leurs radars pour avoir une image précise des autres navires se trouvant dans la zone, » explique le rapport. Cela signifie que le Central Opérations ne pouvait pas suivre les multiples navires sortant du dispositif de séparation du trafic.

Les veilleurs du Fitzgerald n’utilisaient pas non plus l’AIS (Automated Identification System), un système public indiquant la position, la route et la vitesse des navires de commerce.

Les veilleurs du Fitzgerald ont aussi échoué. L’enquête indique que le ou les marins affectés à rechercher les dangers, ont regardé pendant tout le temps de l’autre côté.

« Les veilleurs qui devaient regarder avec des jumelles ne le faisaient que du côté bâbord, pas du côté tribord où se trouvaient les 3 navires présentant un risque de collision, » souligne le rapport.

Le rapport considère aussi que la fatigue de l’équipage a probablement joué un rôle : la veille de l’accident, l’équipage a subi une journée complète d’inspections et de qualifications.

Sans aucun avertissement, des marins dormant à proximité du point d’impact, n’ont eu que 30 à 60 secondes pour évacuer leur chambre qui se remplissait rapidement d’eau. 7 marins sont morts sur le Fitzgerald.

 Collision de l’USS McCain

A bord de l’USS McCain, le commandant était en passerelle dans tout l’incident.

C’est juste avant l’aube que le McCain est entré dans le détroit de Malacca, une des voies maritimes les plus empruntées dans le monde. Le commandant, le Cmdr. Alfredo Sanchez, était resté en passerelle pour superviser la navigation dans cette zone très chargée à proximité de Singapour pendant plus de 4 heures lorsque l’accident est survenu à 5:23 du matin.

A bord du McCain, les erreurs ont commencé des heures avant l’accident.

Le Cmdr Sanchez avait décidé de donner du repos supplémentaire à l’équipage. Il avait retardé le moment de rappeler l’équipage aux “postes de manœuvre”, qui exige plus de marins et met le navire dans un niveau de préparation plus élevé. Cela comprend une équipe de navigation renforcée, un nombre accru de veilleurs et un maitre de navigation en passerelle.

Sanchez avait ordonné le rappel aux “postes de manœuvre” à 6 heures du matin, et non pas 5, au moment où le destroyer entrait dans la voie de navigation se dirigeant vers le détroit. L’officier opérations, le navigateur et le commandant en second avaient tous recommandé le rappel à 5 heures pour des raisons de sécurité.

L’erreur critique est intervenue lorsque le courant a dévié le navire sur la gauche et que le Cmdr Sanchez a remarqué que le barreur — généralement un jeune marin chargé de suivre les ordres de barre et de vitesse donnés par l’officier de quart — avait du mal à respecter la route ordonnée.

Le barreur expérimenté, qui devait accomplir cette fonction aux “postes de manœuvre”, était en train de petit-déjeuner.

A 5:20, le Cmdr Sanchez a ordonné qu’un 2è veilleur vienne l’aider. Le barreur gardait le contrôle de la barre pendant que le 2è s’occupait de la vitesse et du contrôle du pas des 2 hélices.

Mettre 2 marins à des postes séparés nécessitait de changer la configuration du poste de navigation et de faire passer le contrôle de la vitesse à une autre console de conduite. Mais le changement de configuration a immédiatement provoqué de la confusion parce que, par erreur, c’est l’ensemble des contrôles qui a été transféré à la 2è console.

Par conséquent, le barreur ne pouvait plus exécuter les ordres de barre. Il a d’abord cru qu’il avait perdu le contrôle à cause d’une panne alors que l’équipement était simplement mal configuré.

4 minutes avant la collision, la confusion se répandait en passerelle, alors que les barreurs essayaient de corriger une avarie de barre inexistante.

Pour compliquer encore la situation, le changement de configuration a fait revenir le gouvernail en position neutre, au lieu d’un angle de barre à droite de 1 à 4° nécessaire pour contrer le courant poussant le navire sur la gauche. Le courant continuait donc de pousser sur la gauche.

Pendant la confusion, alors que la passerelle pensait qu’ils avaient une avarie de barre, le commandant a ordonné de réduire la vitesse de 20 à 5 nœuds. Mais le marin à la console contrôlant la vitesse des 2 hélices, n’a réduit que celle de bâbord, laissant l’hélice tribord tourner à 20 nœuds, poussant brusquement et fortement le navire sur la gauche et vers la route de l’Alnic MC pendant plus d’une minute.

Un officier en passerelle a alors ordonné que le contrôle du gouvernail soit transféré vers le local de barre de secours, un compartiment situé à l’arrière du navire qui peut aussi contrôler le gouvernail. Mais ce poste n’était pas encore armé à cause de la décision de Sanchez de reporter à 6 heures le rappel aux « postes de manœuvre ».

Selon le rapport d’enquête, la configuration de barre du McCain a été changée 5 fois dans les 3 minutes qui ont précédées la collision.

Lorsque le local de barre de secours a été armé et que le marin en passerelle a corrigé l’erreur de vitesse qui poussait le McCain sur la gauche, il était trop tard.

La collision avec l’Alnic MC est survenue à 5:23 du matin, créant un trou de 8,5 m dans le côté du McCain, inondant des compartiments en quelques secondes et tuant 10 marins. Il semble que la plupart ont été écrasés lors de la collision ou noyés dans leur couchette.

Source : Defense News (Etats-Unis)