L’ordinateur de bord de plusieurs modèles du constructeur
Le Vice-amiral Bruce MacLean, Chef d’état-major de la (…)
Le sous-marin Chicoutimi est attendu à Halifax aujourd’hui. Peut-être demain. Mais peu importe le jour ou l’heure de son arrivée à son nouveau port d’attache, sa mauvaise réputation l’y aura précédé.
Le Navire canadien de Sa Majesté (NCSM) Chicoutimi est l’un des quatre sous-marins d’occasion achetés de la Royal Navy (britannique) qui doivent reprendre du service sous pavillon canadien.
Pour le Chicoutimi, ça ne sera pas avant au moins un an, le temps que mettront ingénieurs et techniciens navals à réparer les dommages causés par l’incendie qui a coûté la vie au lieutenant de vaisseau Chris Saunders, au début d’octobre (voir, ci-contre, la chronologie des événements). Les trois autres sous-marins sont amarrés jusqu’à nouvel ordre.
Pendant trois jours, les télévisions du monde avaient diffusé ces images du sous-marin ballottant, sans gouvernail, dans une mer peu amène avant d’être remorqué en Écosse. Aujourd’hui, peut-être demain, la télé canadienne montrera le Chicoutimi arrivant à son nouveau port arrimé sur le pont d’un semi-submersible norvégien. Comme un marin blessé qui revient sur une civière.
À Halifax, grand port de mer et principale base navale canadienne, la simple mention du mot « sous-marin » provoque une réaction. Loups de mer et profanes ont la même : ils grimacent ou lèvent les yeux au ciel. « Vous voulez parler de nos nouveaux sous-marins qui ne peuvent pas plonger ? » ou « Ah oui ! La scrap qu’on a achetée des Anglais... » Quand on précise les choses en nommant le Chicoutimi, le sarcasme disparaît pour faire place à la honte ou à la colère. Un homme est mort. « Comment est-ce que, fuck ! on peut acheter des sous-marins qui prennent l’eau ? »
La vérité, bien sûr, est plus complexe, mais on attend toujours la publication du rapport de la commission d’enquête remis au commandant de la Marine au milieu de décembre. CBC et deux quotidiens de Halifax, le Herald et le Daily News, avaient demandé à assister aux audiences. Refusé. L’explication : une commission d’enquête des Forces canadiennes n’est pas une procédure publique aux termes de la loi sur les enquêtes, mais une procédure interne où des experts militaires de différents horizons recueillent les faits et font des recommandations. Après « examen et approbation », le rapport sera rendu public « sous réserve des contraintes imposées par la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur l’accès à l’information ».
Poursuivant sa propre enquête, CBC avait par ailleurs fait état de deux problèmes techniques qui auraient causé l’incendie et la mort du lieutenant Saunders. D’abord un écrou se serait dévissé dans une bouche de ventilation de la tourelle du Chicoutimi. Pour procéder à la réparation, les techniciens avaient dû laisser les deux panneaux ouverts, ce qui explique que le sous-marin naviguait en surface, le matin du 5 octobre. Malgré la mer rude. Une vague a fini par monter au-dessus de l’ouverture pour inonder les compartiments centraux, dont la cabine du capitaine où se trouve un panneau électrique. L’électricité et l’eau font rarement bon ménage surtout quand les fils sont mal isolés. Or, il semble, selon la CBC, que certains connecteurs du panneau n’avaient reçu qu’une couche d’isolant à l’épreuve de l’eau au lieu des trois qu’exigent les normes de la Royal Navy qui était responsable de la remise en état des quatre sous-marins.
« Y’a pas juste le Chicoutimi qui a eu des problèmes », nous dira pour sa part un vétéran de la Marine dont la connaissance des événements ne fait pas de doute. « Quand le Victoria a quitté Panama pour monter à Esquimalt (près de Victoria, C.B., la base de la flotte du Pacifique qui n’a pas eu de sous-marin depuis 1974), il a plongé pour remonter après quelques minutes, le nez comme ça. » Et notre interlocuteur de se placer l’avant-bras à 45 degrés, un angle d’émergence inhabituel pour un sous-marin. « Il a dû remonter d’urgence : ses batteries étaient mortes. »
Toutes ces « histoires d’horreur » sont livrées sous le sceau de l’anonymat parce que, comme disent les militaires, « la marde va r’voler ». « Mais il faut que le monde comprenne que ça n’a pas d’allure, tout ça... » Et le feu du Chicoutimi ? « Des carrières sont déjà brisées », nous dira cette même source, affirmant qu’il était « presque certain » que le capitaine du Chicoutimi, le lieutenant de frégate Luc Tremblay, et son adjoint allaient être relevés de leurs fonctions. Quant au sort du lieutenant de vaisseau Saunders, le verdict est implacable : « Il passe pour un héros et c’est très bien pour sa famille. Mais tout le monde dans la Marine sait qu’il ne s’est pas rendu à son poste, cette fois-là. Dans un sous-marin, même chose sur un bateau, chaque membre de l’équipage doit se rapporter à un endroit précis en cas de feu. Lui, c’était au HQ 1... La vérité, c’est que s’il avait suivi la consigne, il serait peut-être encore en vie aujourd’hui. »
LE FIL DES ÉVÉNEMENTS
Samedi 2 octobre 2004
La Marine canadienne prend possession de l’ancien submersible de la Royal Navy, renommé NCSM Chicoutimi, un des quatre sous-marins achetés à l’Angleterre au coût de 810 millions.
Dimanche 3 octobre
Le NCSM Chicoutimi entreprend le voyage vers Halifax.
Mardi 5 octobre
Vers 10h HNE, un incendie se déclare dans un panneau électrique à bord du Chicoutimi, qui navigue en surface à quelque 230 km des côtes de l’Irlande.
Le bâtiment se retrouve sans électricité, sans propulsion et sans communications.
13 h 15 - La Royal Navy envoie deux frégates et deux navires de soutien au secours du Chicoutimi.
13 h 25 - La Marine canadienne annonce que neuf membres de l’équipage du Chicoutimi sont traités pour des problèmes respiratoires mais que personne n’est gravement blessé.
Mercredi 6 octobre
10h - À Halifax, la Marine canadienne annonce que le Chicoutimi a subi des dommages importants provoqués, entre autres, par un deuxième incendie dans un générateur d’oxygène.
14 h 45 - Les trois cas les plus graves sont évacués par hélicoptère vers l’Irlande du Nord mais en cours de vol, l’état de santé du lieutenant de vaisseau Chris Saunders oblige l’appareil de la Royal Navy à prendre la direction de l’hôpital le plus proche, en Irlande.
18 h - Le premier ministre Paul Martin annonce en Chambre le décès du lieutenant Saunders, âgé 32 ans.
Jeudi 7 octobre
L’Anglia Prince de la Garde côtière britannique prend le Chicoutimi en remorque.
Dimanche 10 octobre
Le NCSM Chicoutimi arrive à Faslane, son point de départ. La commision d’enquête de la Marine canadienne se réunit à Helensburg, Écosse.
13 octobre
Le lieutenant Saunders est enterré à Halifax avec tous les honneurs militaires.
17 décembre
Après 10 semaines d’audiences au cours desquelles elle a entendu 78 témoins, la Commission d’enquête sur le NCSM Chicoutimi remet son rapport à l’amiral Bruce MacLean.