Le missile M51 donne àla France une dissuasion plus flexible face aux menaces qui évoluent

  • Dernière mise à jour le 3 novembre 2006.

Un projet majeur de modernisation de l’arsenal nucléaire français va connaître cette année une étape importante avec le premier lancement d’essai àterre du missile ballistique de nouvelle génération M51.

Développé par EADS, le M51 pèsera environ moitié plus que le M45 actuellement en service, lui permettant d’emporter 6 têtes à une portée intercontinentale — une donnée classifiée, mais supérieure à 6 000 - 8 000 km — avec de plus grandes performances et marges de sécurité. Le M51 sera installé à bord des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de seconde génération du type « Triomphant », en commençant par le quatrième et dernier exemplaire de la série, le Terrible, actuellement en construction au chantier DCN de Cherbourg.

Outre une augmentation importante de la charge utile et de la précision, le M51 et l’ASMPA, le missile de croisière amélioré à capacité nucléaire, vont permettre une plus grande flexibilité opérationnelle. Ceci est en phase avec l’évolution de la doctrine nucléaire de la France — principalement par rapport aux puissances régionales. Lors d’un discours prononcé le 19 janvier à la base des sous-marins nucléaires de l’Ile Longue, le Président Jacques Chirac avait déclaré que la France se réserverait le droit de frapper des centres névralgiques avec une dissuasion graduée, comme un "dernier avertissement" face à une agression ennemie — une référence évidente à la Corée du Nord et à l’Iran.

Une dissuasion graduée — par exemple, des missiles ballistiques équipés d’un nombre réduit de têtes nucléaires, configurées pour exploser à haute altitude — pourrait utiliser l’effet des impulsions électro-magnétiques (IEM) pour détruire les équipements électroniques et informatiques de l’ennemi, réduisant les dommages collatéraux.

Pour le président Chirac, les principes de base de la doctrine nucléaire de la France n’ont pas changé : malgré les pressions, il n’est toujours pas question d’autoriser des frappes préventives ou de mettre en service des armes nucléaires pouvant être utilisées sur le champ de bataille. "Mais la manière dont ces principes sont appliqués a changé et continuera d’évoluer pour prendre en compte les menaces du 21è siècle," a-t-il déclaré.

Chirac a renouvelé une offre de donner à l’arsenal nucléaire français une "dimension Européenne." L’offre est distinée à encourager les nations voisines — principalement la Grande-Bretagne, la seule autre puissance nucléaire d’Europe — à adopter une position européenne face aux menaces émergentes, ou même de participer aux développements futurs.

Le M51 reflète aussi la décision française de s’appuyer sur la simulation plutôt que sur des essais nucléaires souterrains pour vérifier la sécurité et la fiabilité de ses armes nucléaires. Le missile sera au départ équipé de têtes TN75 miniaturisées qui équipent déjà le M45 — et qui bénéficient de la dernière série d’essais de cette tête effectués en 1995. Mais il sera ensuite équipé d’une toute nouvelle tête, baptisée TNO, qui sera développée en utilisant une installation géante de simulation, le Laser Megajoule, qui est en construction près de Bordeaux au coeur du complexe nucléaire du pays (voir Le premier tir d’essai du missile M51 approche).

La France est aussi en train de concevoir une série de démonstrateurs aériens et spaciaux qui doivent fournir une capacité d’avertissement contre les missiles ballistiques ennemis. Elle est aussi en train de développer un missile anti-ballistique de théatre.

Lors de présentations des 18 et 19 septembre dernier (voir Le premier tir d’essai du missile M51 approche), des responsables du programme avaient indiqué que le missile M51 serait prêt à entrer en service sur le Terrible en juillet 2010. Une maquette inerte à l’échelle 1 du missile, dont le développement a commencé en 1998, a subi des essais de sortie de l’eau, et chacun des 3 étages de propulsion à carburant solide a été testé avec succès. Le premier étage avait été lancé au début 2005.

Le missile complet devrait être lancé pour la première fois vers la fin de l’année depuis un pas de tir situé à terre, a indiqué Jean-Christophe Cardamone, responsable du programme M51 à la DGA. Le missile effectuera un premier essai de lancement sous-marin depuis une piscine en 2008. Le premier lancement depuis le sous-marin Le Terrible est prévu quelque temps après le début des essais à la mer du sous-marin en janvier 2009.

Aucune date d’entrée au service de la nouvelle tête TNO n’a été communiquée, mais le simulateur Megajoule n’est pas prévu d’entrer en service avant 2011. Un programme de démonstration qui est en discution avec EADS — dans le cadre de mesures destinées à maintenir le savoir-faire sur la partie lanceur — pourrait servir de base à un nouvel étage supérieur destiné à accueillir la TNO.

EADS a commencé la production de série du M51 en 2004. Le nombre exact de missiles commandés n’a pas été indiqué, mais chaque sous-marin emportera 16 missiles, et il est prévu que 3 sous-marins puissent être en mer en même temps. De plus, il est prévu d’effectuer un lancement d’essai tous les 2 ou 3 ans sur les 35 ans de la vie du M51.

Les responsables ont attribué leur capacité à respecter le calendrier à un "système de systèmes," une organisation baptisée Coelacanthe, mise en place pour garantir la cohérence entre les nombreux éléments qui font partie du programme nucléaire. En plus du missile M51, de sa tête nucléaire et de la flotte sous-marine, ce système comprend de nouveaux systèmes de communication, la modernisation de la base sous-marine de l’Ile-Longue, le missile de croisère ASMPA, et un ensemble de nouvelles installations de test. Le seul élément en retard sur le calendrier est le missile ASMPA, dont l’entrée en service est maintenant prévue à la fin 2008.

Un autre élément qui aide les ingénieurs à garder le programme M51 sur les rails est l’utilisation importante de la simulation pour la conception et le développement, ce qui a permis de réduire le nombre de lancements d’essai. Les responsables du programme ont refusé de dire combien de lancements étaient prévus, mais Cardamone a indiqué que le nombre total — entre 1 et 10 — sera très inférieur aux quelques 30 tirs effectués pour le M45. De la même manière, chaque étage ne subira pas pas plus de 5 ou 6 essais de lancement, a déclaré Daniel Maguerez, qui dirige le centre d’essai de propulsion de la DGA à St. Médard. Certains essais, comme les essais de séparation des étages ou les essais de mise à feu en immersion, ont été supprimés.

La simulation a aussi été utilisée, avec des innovations de conception, pour limiter la taille du M51 et réduire les couts. Parce que les 3 premiers sous-marins de la classe Triomphant ont été construits pour le missile M45, l’adaptation de la coque pour le M51 ne doit nécessiter que le minimum de travail. L’enveloppe extérieur du missile est légère, en une seule pièce, fabriquée avec un composite carbone-carbone. Le missile est équipé de gouvernes à commande électrique qui prennent moins de place que le système hydraulique du M45 et nécessitent moins de maintenance.

Malgré ces efforts d’économie, le programme nucléaire reste l’un des plus couteux de la défense française. La facture pour le seul missile M51 sera d’environ 8 milliards d’€, a indiqué Cardamone, dont 5 milliards iront au développement. Le prix des sous-marins Triomphant est d’environ 15 milliards, dont 2,5 milliards pour la construction du Terrible et 700 millions pour la nouvelle infrastructure à la base de l’Ile-Longue.

Mais ce montant ne comprend pas le cout des têtes nucléaires (qui est classifié), le simulateur Megajoule (1,2 milliard d’€), les nouvelles installations d’essai, le navire de soutien Monge utilisé pour suivre le missile et les têtes lors des lancements d’essai, le missile ASMPA et d’autres éléments associés. Christophe Fournier, qui dirige l’organisation Coelacanthe, estime que le cout global du programme nucléaire s’élève à environ 3 milliards d’€ par an.

Avec l’approche des élections présidentielles à la mi-2007, il pourrait y avoir des pressions pour réduire ou retarder les livraisons. Des sources industrielles ont indiqué que le retard d’un an de l’ASMPA est du à des retards sur la signature des contrats. Mais Fournier avertit que la majeure partie du travail est déjà réalisée, en cours ou engagée, l’ampleur des réductions possibles sera donc limitée.

De plus, a-t-il précisé, les dépenses ont atteint leur maximum et vont commencer à diminuer chaque année. En 2008, elles ne devraient atteindre que 18% du montant total des achats de matériels militaires contre 20% aujourd’hui, et seulement 10% du budget des armées. Elles vont considérablement diminuer après 2011, quand les programmes M51 et Terrible seront terminés. La mise à niveau des 3 sous-marins existants devrait être terminée en 2015, et le remplacement des derniers Mirage 2000N par des escadrilles de Rafale, équippés d’ASMPA, en 2018.

Et par dessus tout, le programme nucléaire est considéré comme un important incubateur de nouvelles technologies, en particulier pour les systèmes de lancement de satellites.

Source : Aviation Now

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