De la poupe àla proue : l’aventure des sous-mariniers malaisiens

  • Dernière mise à jour le 5 juillet 2006.

Il était presque 4 heures du matin lorsque la sonnerie a retenti. Il gelait presque dehors et le Lieutenant Commander Mohd Amin Mat Tahir aurait certainement préféré rester dormir. Mais il s’est forcé àse réveiller, a fait sa toilette et a ouvert ses livres.

Mécanique, systèmes d’échappement, moteurs diesel, armement. Voici certains des 58 sujets qu’il doit maîtriser d’ici 3 ans. La veille, il a étudié de 20 à 23 heures.

Auparavant, il avait eu cours de 8 à 17 heures et une heure supplémentaire de travaux dirigés.

"Je ne pense avoir déjà étudié quelque chose d’aussi dur de toute ma vie. Si j’avais travaillé aussi dur pour mon SPM, j’aurais probablement eu d’excellentes notes comme Nur Amalina," a-t-il indiqué, en parlant de l’étonnante étudiante malaise qui a reçu 17 20/20 lors de son SPM.

Mais Mohd Amin, 33 ans, n’est pas un élève au lycée ou un étudiant d’université. Il est un sous-marinier Malaisien suivant le cours supérieur de sous-marinier à l’école Malaisienne de formation sous-marine de Brest.

 Classe Scorpène

En 2009, il sera l’un des privilégiés qui armeront en premier le premier sous-marin du type Scorpène de la Malaisie.

Mais la maîtrise de tant d’équipements est-elle cruciale pour embarquer sur un sous-marin ? Certainement qu’on n’a besoin de ne connaître que ceux que l’on va utiliser ?

"A bord d’un sous-marin, ce n’est pas comme sur les navires de surface. On attend des sous-mariniers qu’ils maîtrisent parfaitement tous les équipements du bord", a déclaré récemment à Bernama ce natif de Negri Sembilan, père de 3 enfants.

"C’est important puisque la survie de tout le monde à bord dépend de la performance de chacun. Par conséquent, chaque sous-marinier doit étre extrêmement compétent dans sa fonction, comprendre le mécanisme impliqué et comment cela affecte les autres processus à bord du sous-marin.

Il indique que même l’officier opérations doit comprendre comment ses décisions vont affecter la flottabilité du submersible, quelque chose qui fait partie des tâches de l’officier de plongée.

"Les officiers de haut rang doivent pouvoir accomplir les tâches de n’importe quel autre membre d’équipage en cas d’urgence grâce à sa connaissance des fonctions des autres," déclare Mohd Amin, qui fait partie de la Marine Royale Malaisienne depuis 15 ans.

Et, comme les sous-mariniers doivent connaître leur navire de la poupe à la proue, ils sont sélectionnés parmi les plus brillants et les meilleurs du personnel de la Marine. Ils sont ceux qui ont reçu les meilleurs notes aux examens militaires, sont extrêmement compétents et ont la capacité d’apprendre rapidement les choses.

Plus de 2.000 marins de la Marine Royale Malaisienne ont postulé pour devenir les premiers sous-mariniers de Malaisie. Pour être sélectionnés, les candidats devaient avoir au moins 3 ans d’expérience embarquée.

Aprés avoir subi une batterie de test qui a permis d’évaluer leurs capacités mentales, physiques et psychologiques, et un cours de remise à niveau de 8 mois à la base KD Pelanduk de Lumut, les 156 marins de la Marine Royale Malaisienne ont été choisis l’an dernier pour suivre le premier cours de sous-mariniers à Brest.

 Formation théorique

En 2002, la Malaysie a acheté 2 sous-marins Scorpéne qui sont construits en commun par le chantier français DCN et son partenaire espagnol IZAR.

L’accord signé avec la société française Armaris couvre aussi la fourniture d’un ancien sous-marin de la Marine Nationale remis en état pour la première partie de la formation.

Le premier Scorpène devrait être terminé en 2008 et le second en 2009.

La formation opérationnelle des sous-mariniers Malaisiens à la base navale de Brest fait aussi partie de l’accord d’un montant de 1.04 milliard d’Euros.

Les formateurs sont généralement des anciens sous-mariniers français qui ont navigué à bord du Ouessant, le submersible de la classe Agosta 70 utilisé pour la formation en mer des sous-mariniers Malaisiens.

La Marine Royale Malaisienne a commencé par envoyer 6 des 156 marins à l’école pour une formation approfondie sur les armes, les équipements, le commandement, les procédures, la guerre tactique et bio-chimique pour les préparer au commandement.

Mohd Amin, qui fait partie de ces privilégiés, indique que tous les 6 avaient auparavant suivi un cours de formation initiale à la navigation sous-marine en Australie, Turquie, France, Suède et au Royaume-Uni.

Il raconte qu’à Brest, les cours sont donnés en anglais et sans interruption.

"La seule pause que nous avons est pour les repas. La formation est une affaire sérieuse ici — nous n’avons pas de pause pour le thé comme en Malaisie. Après la fin des cours à 17 heures, les stagiaires se rassemblent pour des travaux dirigés afin de réviser immédiatement les leçons du jour.

"Si nous avons des problémes à comprendre une leçon, les autres nous aident."

Il indique que c’est nécessaire parce qu’un examen oral et écrit a lieu chaque lundi pour suivre la compétence des sous-mariniers. Ceux qui échouent constament à obtenir une bonne note seraient rejetés du programme.

Mohd Amin indique qu’après le diner, les sous-mariniers continuent leurs révisions ou préparent les leçons du lendemain. "Généralement, il ne reste pas de temps pour faire quelque que chose d’autre," ajoute-t-il.

Se sentent-ils parfois dépassés par cette formation ?

"Quelques fois, mais c’est notre rêve à tous et le gouvernement a tant investi en nous. Nous devons nous souvenir que les sous-marins sont des équipements stratégiques pour le pays et qui ne doivent étre utilisés que par ceux qui sont extrémement compétents."

 Simulateurs

En plus des leçons en classe, les sous-mariniers doivent aussi s’entraîner sur des simulateurs pour les aider à préparer les situations réelles à bord d’un sous-marin. Leur performance y est aussi évaluée.

L’officier marinier Ahmad Saufi Ibrahim, 35 ans, raconte que l’un des moments les plus intenses de son stage a été l’entraînement au sauvetage, où les stagiaires sont enfermés dans le noir total dans un petit sas.

"Le sas est alors rempli avec de l’eau. L’eau dépasse votre tête avant que le panneau de sauvetage ne s’ouvre. Sans aide respiratoire, vous devez vous sauver en sortant du sas et en nageant vers la surface pour rejoindre le canot de sauvetage," raconte-t-il.

Il indique que les simulations avaient lieu dans des scénarios de jour comme de nuit, mais les situations de nuit sont celles qui testent vraiment la force mentale des stagiaires à dépasser diverses phobies et réagir calmement sous le stress.

De telles simulations entraînent les sous-mariniers à s’échapper d’un sous-marin en détresse. De plus, d’autres simulateurs de l’école les aident à utiliser les périscopes, les sonars, et combattre le feu é bord.

 Entraînement à la mer

Soixante des sous-mariniers malaisiens ont reçu récemment l’insigne de sous-marinier (le “Dauphin”) des mains du chef de la Marine Royale Malaisienne Laksamana Tan Sri Ilyas Din.

Le “Dauphin”, comme les Ailes que portent les pilotes qualifiés, indique que la personne qui le porte est un sous-marinier qualifié et a reçu le certificat élémentaire de sous-marinier.

Pour le recevoir, les sous-mariniers doivent montrer leur excellence dans quelques 30 domaines qu’ils ont appris en une année et ils doivent avoir effectué 250 heures de plongée.

"Les heures de plongée sont les heures passées à bord d’un sous-marin. Les stagiaires effectuent leurs heures durant la formation en mer, où on vérifie les connaissances qu’ils ont reçu dans les salles de classe," indique Mohd Amin.

Il raconte que, pendant la formation en mer, chaque stagiaire est accompagné par un mentor français qui le guide et vérifie ses performances. La plupart des mentors ont navigué sur le Ouessant avant qu’il ne soit désarmé en 2003.

"Votre mentor va contrôler ce que vous faites à bord, mais une fois que vous avez montré votre compétence, le commandant va vous autoriser à le faire seul," indique Mohd Amin.

Le sous-marinier Ahmad Saufi a indiqué que c’était un moment de grande fierté pour lui et les autres sous-mariniers Malaisiens lorsqu’ils ont été autorisés à conduire le Ouessant sans aucune aide.

"J’ai regardé autour de moi et nous y étions — des sous-mariniers Malaisiens conduisant un ancien sous-marin français. C’était presque difficile à croire, mais nous avons plongé à plus de 300 mètres sous la surface.

"Nos mentors nous ont fait goûter l’eau de mer à cette profondeur - c’est une sorte de ’rite of passage’ [1] pour les sous-mariniers français," raconte celui qui, à 35 ans, a passé 15 ans dans la Marine Malaisienne.

Mohd Amin indique que les mentors servent aussi d’examinateurs pendant les sorties en mer, qui durent généralement 12 jours.

Notes :

[1En français dans le texte.

Source : Bernama (Malaisie)