Un comportement laxiste à l’origine de la collision entre un sous-marin et un navire amphibie américains

  • Dernière mise à jour le 16 novembre 2009.

Une atmosphère informelle, ainsi qu’une assurance excessive de l’équipage, une hiérarchie “faible” et des compétences professionnelles insuffisantes, sont à l’origine de la collision du 20 mars dernier entre le sous-marin nucléaire d’attaque Hartford et le navire amphibie New Orleans dans le détroit d’Ormuz.

L’USS Hartford après la collision
Le sous-marin nucléaire a subi des dégâts sur son kiosque. © US Navy

Parmi les comportements relevés, le navigateur écoutait son iPod au cours d’une manœuvre importante. Les veilleurs étaient connus pour s’endormir pendant leur quart. Des haut-parleurs diffusaient de la musique dans le PC Radio.

Et, selon un rapport de 102 pages de la justice militaire, le JAG (Judge Advocate General), ce qui est devenu un embarras grave pour la flotte sous-marine, était parfaitement “évitable”.

La collision est survenue juste après minuit, par mer calme, alors que le Hartford naviguait vers le sud à l’immersion périscopique, traversant le détroit afin de faire escale à Jebel Ali (Emirats-Arabes-Unis).

Le New Orleans — dont c’était la toute première mission — se dirigeait vers l’ouest, quittant le rail entrant du détroit. Le navire amphibie entrait dans le golfe Persique.

Les navires se sont heurtés lorsqu’ils se sont croisés. Quinze marins du Hartford ont été blessés, mais aucun gravement. Personne n’a été blessé sur le New Orleans.

L’équipage du New Orleans “n’a aucune responsabilité” dans l’accident, indique le rapport.

Vue du kiosque de l’USS Hartford
© US Navy

A la suite de l’accident, le commandant et le patron du pont du Hartford ont été relevés. Aujourd’hui, le Hartford est toujours en réparation des dégâts subis au kiosque, équipements internes et aux barres de plongée. Des spécialistes estiment que la facture va dépasser les 100 millions $.

Le New Orleans a subi une brèche de 5 x 6 m dans la coque. Il a passé 53 jours à Bahreïn pour réparer les dégâts.

 Des problèmes au sommet

La responsabilité de cette débâcle repose principalement sur la hiérarchie du Hartford qui a toléré une atmosphère “informelle” à bord, indique le rapport.

Le Cmdr. Ryan Brookhart a été relevé de son commandement et le patron du pont, le maître-principal Stefan Prevot, a été réaffecté à l’escadrille des sous-marins n°4. Le navigateur, le commandant en second et l’officier responsable des armes ont reçu une sanction extra-judiciaire, de même que 10 autres marins. Des mesures administratives ont aussi été prises à l’encontre de 3 membres de l’élément direct de soutien, affectés au Naval Information Operations Command en Georgie, ainsi qu’à l’encontre d’un spécialiste du renseignement affecté près de Washington. Le rapport ne précise pas le rôle qu’ils ont joué dans l’accident.

L’approbation finale du rapport, par le commandant du Fleet Forces Command, l’amiral John Harvey, explique que l’accident est le résultat de “près de 30 erreurs tactiques et de veille” commises dans l’heure précédent la collision. Il remarque aussi que le commandement n’a pas responsabilisé les subordonnés, “et un prix élevé a été payé pour cette défaillance.”

Harvey a aussi ordonné à la force sous-marine de revoir toutes les collisions, en remontant jusqu’à celle du Greeneville avec un bateau de pêche japonais en 2001 près d’Hawaï.

Le vice-amiral Jay Donnelly, commandant de la force sous-marine, a parlé franchement de l’accident lors de la rencontre annuelle, le 28 octobre dernier, de la Naval Submarine League.

Il a déclaré que l’équipage venait juste de terminer une phase opérationnelle intense de son déploiement et que “tout le monde a baissé sa garde” au cours de ce qui était en fait l’une des phases les plus difficiles, emprunter le détroit à l’immersion périscopique.

Il a aussi remarqué que plus, ou une meilleure, technologie n’ait rien changé à la situation, puisque l’équipage du sous-marin savait que le New Orleans et un autre navire étaient à proximité.

 Un problème plus large

L’USS Hartford après des réparations provisoires
© US Navy

La collision illustre un problème plus large de la force sous-marine avec la gestion des contacts. Un message interne envoyé moins d’un mois après la collision par le commandant de la force sous-marine du Pacifique, le contre-amiral Douglas McAneny, insistait auprès des commandants de sous-marins et d’escadrilles pour qu’ils renforcent la capacité des équipages à pister les contacts de surface.

“Sur plusieurs mois” avant l’incident, des centaines de veilleurs ont vu leur capacité vérifiée pour comprendre comment analyser le mouvement des contacts de surface. Seuls 10 à 15% des veilleurs non-officiers ont obtenu l’examen, et 60% des officiers.

“Compte-tenu de l’attention que j’ai personnellement porté à la gestion des contacts en plongée en donnant mes ordres, ceci est inacceptable,” écrit McAneny dans son message.

 Pas à niveau

Au moment de la collision, le sous-marin se dirigeait vers le sud à l’immersion périscopique, hissant et affalant périodiquement son périscope.

Lorsque les 2 navires sont entrés en collision, l’équipage du New Orleans a ressenti un choc. L’équipe de quart a ralenti la vitesse à 3 nœuds et a lancé une embarcation pour vérifier les dégâts. Le bâtiment amphibie avait des ballasts et des réservoirs de carburant envahis par l’eau de mer et il penchait de 1,5° sur tribord.

Sur le Hartford, le choc a provoqué le blocage de la porte du poste central par une lanterne de bataille, une fuite de gasoil dans la salle des machines et une “légère fumée” dans les salles des machines et des torpilles.

Les barres de plongée avant ne fonctionnaient plus et les périscopes ne pouvaient plus être hissés. L’antenne remorquée a été vérifiée et le sonar a vérifié que l’arrière était clair avant d’effectuer une remontée d’urgence. Le sous-marin a fait surface à 3.300 m du New Orleans. Il a fallu presque 4 heures à l’équipage, avec des “cales et un cric hydraulique” pour réussir à ouvrir les panneaux du pont.

Le commandant Brookhart n’a pas plannifié le “transit dans le détroit”, n’a pas communiqué ce plan et n’a pas insisté auprès des veilleurs sur “le risque élevé qui aurait dû être avant tout dans l’esprit de chacun.”

Mais les veilleurs n’étaient pas à niveau pour commencer, selon le rapport.

La compréhension par le poste central de la gestion des contacts a été jugée suffisamment faible pour que les membres d’équipage “ne réussissent pas à évaluer de façon critique la validité” des informations calculées par l’ordinateur en les comparant avec les “informations brutes des senseurs”.

Mais, alors que l’amiral McAneny poussait les commandants à mettre leurs équipages à niveau, les causes de la collision pointent vers le commandement. Brookhart, le commandant en second et le patron du pont ont été tous rendus responsables d’avoir mis en place un climat de commandement qui manquait d’une “attitude responsable”, attendue dans la force sous-marine, et qui faisait preuve d’un “niveau général d’auto-satisfaction”.

Il a été ressenti même par les marins les plus jeunes. Les barreurs — toujours les plus récents membres de l’équipage — ont déclaré aux enquêteurs qu’ils étaient “affalés sur leur siège, avec une main sur le manche,” et qu’ils “enlevaient leurs chaussures pendant qu’ils barraient.”

Des marins ont aussi rapporté une attitude laxiste dans le service sonar en ce qui concerne les pauses.

La nuit de la collision, les opérateurs sonar ont discuté “pendant la majeure partie du temps, [pendant l’heure précédant] la collision.” Un officier de quart n’a pas regardé dans le périscope avant la collision, après avoir pris les fonctions de gestion des contacts.

Le navigateur, qui n’était pas de quart, passait un examen d’ingénierie au carré “tout en écoutant son iPod”, malgré la manœuvre dangereuse qui était en cours.

Le commandant Brookhart n’a jamais été au poste central de toute la durée de la traversée du détroit, ont découvert les enquêteurs.

Avant l’accident, des haut-parleurs avaient été installés dans le très sensible PC radio “qui permettait d’écouter de la musique pendant le quart. Cela avait été caché à la chaîne de commandement.”

Le plus choquant est peut-être cette révélation : “De nombreux membres de l’équipage ont déclaré qu’il y avait de nombreux dormeurs connus [5 noms ont été répétés par la majorité de ces membres d’équipage]. Ces personnes s’endormaient régulièrement pendant leur quart, et aucune sanction disciplinaire n’était prise.”

Deux des dormeurs connus étaient de quart pendant la collision, indique le rapport.

L’équipe d’enquête insiste à la fin de son rapport pour dire que la plupart des marins du sous-marin étaient d’un “niveau absolument superbe”, “désireux d’être bien commandés” et “souhaitant rétablir le niveau de leur sous-marin.”

D’autres articles sur cet accident :
 L’US Navy communique des précisions sur la collision dans le détroit d’Ormuz,
 Le commandant du sous-marin qui était entré en collision avec un navire amphibie, a été relevé,
 Lors de la collision avec le New Orleans, le sous-marin Hartford s’est pratiquement couché sur le côté,
 Le commandant du sous-marin qui était entré en collision avec un navire amphibie, a été relevé,
 Le patron du pont du sous-marin Hartford viré après la collision,
 Début des réparations du sous-marin Hartford,
 Le cout des réparations de l’USS Hartford explose,
 L’auto-satisfaction est à l’origine de la collision du Hartford.

Source : Navy Times (Etats-Unis)