Sauvetage du bathyscaphe : une révolution morale dans la Marine russe

  • Dernière mise à jour le 8 août 2005.

L’opération internationale de sauvetage du bathyscaphe AS-28 bloqué dans la baie Beriozovaïa, près de l’extrémité sud du Kamtchatka, a été menée àbon terme. Tous les marins sont saints et saufs.

Le ministre russe de la Défense, Serguéi Ivanov, qui a assisté sur l’ordre du président Poutine à la dernière étape de l’opération a déclaré que des décorations nationales allaient être décernées à tous les membres d’équipage de l’engin sous-marin, et aux marins britanniques qui ont joué un rôle décisif dans les efforts de sauvetage du bathyscaphe russe.

Le robot sous-marin téléguidé britannique Super Scorpio 45 amené d’urgence de la base de Renfrew (Ecosse) à l’aérodrome d’Elizarovo, au Kamtchatka, a permis de couper six câbles de matière synthétique et d’acier qui retenaient l’AS-28 par quelque 200 mètres de profondeur, sauvant ainsi la vie des marins russes. La gratitude de la Russie aux marins militaires au service de Sa Majesté est sans limite.

Il ne faudra cependant pas oublier le courage, la fermeté et la maîtrise de soi dont a fait preuve l’équipage du sous-marin de poche qui a passé quatre jours environ, 76 heures précisément, au fond de la mer sans connaître le sort qui leur était réservé.

En plus d’avoir gardé son sang-froid, l’équipage a résisté à une température de +4°C et a su utiliser les maigres ressources de plaques régénératrices qui absorbaient le gaz carbonique et dégageaient de l’oxygène. Cela leur a permis de ne pas perdre leurs esprits et de rester apte au travail deux fois plus longtemps que les 48 heures d’autonomie technique officielle de l’engin. L’histoire de la plongée ne connaît que trop peu de cas pareils.

En 1957, sortant de la base navale de Balaklava, en mer Noire, le sous-marin M-351 projet A615 (Québec, selon la terminologie de l’OTAN) coula lorsqu’il effectuait une "plongée d’urgence". L’accident résultait d’une coupure d’alimentation en air des moteurs diesels. Le soufflage des citernes de lest s’avéra inefficace et le sous-marin s’enlisa dans la vase par 84 mètres de profondeur. La situation s’était compliquée en raison d’intempéries.

Des navires de sauvetage arrivèrent dans le secteur où ils mirent quatre jours pour accrocher le sous-marin avec un câble et le remonter à la surface. Tous les 33 membres d’équipage étaient vivants mais ils furent plus tard radiés de la Marine, leur état psychique ayant connu des changements irréversibles à la suite du stress qu’ils avaient subi d’être "enterrés vivants".

Le moral de l’équipage de l’AS-28 n’a pas fléchi, comme ont pu le voir ceux qui suivaient sur le petit écran l’arrivée des marins sauvés à Petropavlovsk-Kamtchatski. Même les courtes répliques qu’ils échangeaient avec les journalistes prouvent que leur réaction vis-à-vis de la réalité est absolument adéquate. C’est la preuve la plus convaincante que les marins du Pacifique, se trouvant dans une situation critique, n’ont pas perdu le moral, ont témoigné d’une volonté de faire face aux circonstances et ont continué d’agir raisonnablement et de façon compétente, en dépensant parcimonieusement le peu de réserves d’énergie, d’air et d’eau dont ils disposaient. Les vivres ont été épuisés un jour avant la remontée.

Il y a lieu d’évoquer aussi le courage des dirigeants de la Marine de guerre, de son commandant en chef par intérim l’amiral Vladimir Massorine. C’est lui, affirme le ministre de la Défense Serguéi Ivanov, qui a décidé de faire venir les spécialistes britanniques et américains pour effectuer des travaux sous-marins dans la baie qui est la plus "fermée" aux étrangers parce qu’elle abrite le système hydro-acoustique de détection lointaine d’objets sous-marins destiné à intercepter les engins submersibles étrangers et même les plongeurs de reconnaissance et les agents de sabotage. Un autre amiral, l’ancien commandant en chef de la Flotte de la mer Noire et puis de la flottille de sous-marins nucléaires du Kamtchatka, Edouard Baltine, a qualifié en public cette décision d"inadmissible", dévoilant en fait un secret militaire de l’Etat et gravement préjudiciable à la sécurité du pays.

C’est aussi pour préserver ce "secret" que le pays n’avait pas demandé une aide urgente d’Etats étrangers pendant les tragédies des sous-marins nucléaires K-278 Komsomolets en 1989 et K-141 Koursk en 2000. Que la vie humaine soit aujourd’hui devenue, pour les responsables de la Marine de guerre russe, plus chère que n’importe quel secret, ceci doit être sans conteste considéré comme une révolution morale. Nous estimons qu’après le 7 août 2005 l’attitude envers les hommes en uniforme sera différente dans la flotte, l’armée et la société.

Viktor Litovkine, commentateur militaire de RIA Novosti

Source : RIA Novosti