Guerre des Malouines : les erreurs fatales qui ont coulé le HMS Sheffield

  • Dernière mise à jour le 16 octobre 2017.

Après 35 ans, la Royal Navy a rendu public le rapport d’enquête sur le naufrage du destroyer HMS Sheffield pendant la guerre des Malouines, et sa longue liste d’erreurs et de défaillances.

Dans les tous premiers jours de la guerre en 1982, l’Argentine a lancé un missile Exocet sur le HMS Sheffield, faisant 20 morts et 26 blessés. C’était le premier bâtiment de la Royal Navy perdu au combat depuis la fin de la 2è Guerre Mondiale.

Le rapport de la commission d’enquête sur la perte du Sheffield, qui vient finalement d’être rendu public dans son intégralité, révèle pourquoi le bâtiment n’était absolument pas préparé à cette attaque.

La commission a découvert que 2 officiers avaient commis des négligences, mais ils ont échappé à la court martiale et n’ont pas été sanctionnés. Apparemment, il s’agissait d’éviter de mettre fin à l’euphorie qui régnait dans tout le Royaume-Uni à la fin de la Guerre.

Un résumé largement censuré des conclusions de la commission avait été publié en 2006 par le ministère de la défense. Mais la censure avait touché les principales conclusions et les critiques de la commission, y compris les accusations de négligence. Ce résumé ne contenait pas non plus les avertissements lancés par la commission sur les « défaillances critiques » du matériel de lutte contre les incendies dont étaient alors équipés les destroyers Type 42 comme le Sheffield.

Classifié “Secret – UK Eyes Bravo”, le rapport complet et non censuré explique :

- Certains membres de l’équipage « s’ennuyaient et étaient un peu frustrés par l’inactivité » et le bâtiment n’était « pas complètement préparé » pour une attaque.
 L’officier de lutte anti-aérienne avait quitté le PC opérations du destroyer et prenait un café au carré lorsque la marine argentine a lancé son attaque, pendant que son adjoint se trouvait aux toilettes (pour se soulager).
 Le radar du destroyer qui aurait pu détecter l’approche du Super Étendard argentin avait été brouillé par une transmission radio d’un autre navire.
 Lorsqu’un navire proche, le HMS Glasgow, a enfin détecté l’approche du chasseur, l’officier de quart au PC Ops du Sheffield n’a pas réagi, « en partie par inexpérience, mais plus important par incompétence. »
 L’officier de lutte anti-aérienne a été rappelé au PC Ops, mais il ne croyait pas que le Sheffield se trouvait à porté de tir du Super Etendard argentin.
 Lorsque les missiles lancés sont arrivés à portée visuelle, les officiers sur le pont ont été « hypnotisés » par cette vision et n’ont pas transmis d’avertissement au reste de l’équipage.

La commission d’enquête a découvert que l’erreur de l’officier de lutte anti-aérienne découlait de la lecture d’un rapport des services de renseignement sur la menace argentine, qui était arrivé à bord dans « un paquet intimidant et énorme » de papier qui était difficile à comprendre.

Même si l’équipage était conscient de la menace que constituaient les missiles Exocet, certains semblent avoir pensé que le Sheffield était hors de portée des Super Étendard, parce qu’ils ignoraient que ces avions pouvaient se ravitailler en vol.

La commission a aussi conclu qu’il était « malheureux » que le commandant du Sheffield, Sam Salt, ait été un sous-marinier et son second, un pilote d’hélicoptère, qui n’avaient ni l’un ni l’autre que « peu ou aucune expérience récente sur bâtiment de surface ».

Lors de l’attaque, personne n’a appelé le commandant, ni « rappelé aux postes de combat ». Le Sheffield n’a lancé aucun leurre ou nuage de paillettes pour tenter de détourner les Exocet. Il n’a pas changé de route pour faire face aux missiles afin de réduire la silhouette du navire. De plus, une partie des armes du destroyer étaient déchargées et sans personnel à proximité. Aucune tentative n’a été faite pour essayer d’abattre les missiles.

Un des missiles a heurté le Sheffield sur le côté tribord, à environ 2,4m au-dessus de la flottaison, déchirant un trou d’environ 1m de haut et 5m de long. Il a pénétré jusqu’à la cuisine du navire, tuant instantanément les 8 cuisiniers qui s’y trouvaient. En quelques secondes, un incendie s’est déclenché et le navire a été envahi par la fumée.

Douze marins ont été asphyxiés par la fumée, dont les 5 qui sont restés à leur poste dans la salle informatique jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour qu’ils puissent s’échapper. Certains des blessés ont subi de graves brulures.

Selon le rapport, la lutte contre l’incendie « manquait de cohésion » et n’était pas « coordonnée ». Et bien que l’équipage ait tenté d’éteindre l’incendie, « il n’est pas clairement établi où se trouvait l’état-major du navire. »

La conduite principale d’eau pour alimenter les lances incendies a été rompue, pendant que plusieurs pompes sont tombées en panne et que les sas de sauvetage avant étaient trop étroits pour les pompiers portant un appareil respiratoire. L’équipage a été incapable de maitriser l’incendie et le commandant Salt a finalement donné l’ordre d’abandonner le navire.

L’incendie à bord du Sheffield a brulé pendant 2 jours. Selon le récit officiel, le navire a coulé 6 jours après l’attaque alors qu’il était en remorque. The Guardian a appris qu’il pourrait avoir été sabordé. Un seul corps avait pu être récupéré à bord.

Rendant son rapport en juillet 1982 au commandant en chef de la Navy, l’amiral John Fieldhouse, la commission a conclu que le principal officier de quart au PC Ops avait été négligent en ne réagissant pas conformément à son formation, à son entraînement et à la doctrine en vigueur.

La commission a aussi considéré que l’officier de lutte anti-aérienne avait été négligent parce que sa « longue absence » du PC ops faisait qu’un important poste de défense aérienne n’était pas occupé. Le rapport souligne que, 12 minutes après l’impact, cet officier prétendait toujours que le navire n’avait pas été touché par un missile.

Cependant, l’amiral Fieldhouse a décidé que les 2 officiers ne seraient pas sanctionnés. En septembre 1982, il a informé le ministère de la défense, dans une lettre qui a elle aussi été déclassifiée, que bien que les 2 hommes aient de prime abord fait preuve de négligence, ils ne seraient pas traduits en court martiale, ne seraient pas sanctionnés et ne feraient l’objet d’aucune procédure administrative.

L’amiral Fieldhouse a décidé que lui ou un de ses adjoints parlerait à chacun des 2 officiers pour « être certain que chacun comprenait parfaitement la situation ». The Guardian comprend que l’un d’entre eux a ensuite été promu jusqu’au grade de captain, et a servi dans la Royal Navy pendant encore 20 ans.

Les officiers et l’équipage du Sheffield ont toujours été conscients qu’il y avait eu de sérieuses erreurs et défaillances avant le naufrage. En 2001, accusé de cacher la vérité, le ministère de la défense a publié un communiqué confirmant que l’officier de lutte anti-aérienne n’était pas au PC Ops avant l’attaque, mais a prétendu que c’était parce que sa présence n’était pas nécessaire et qu’il « accomplissait son devoir ailleurs ».

Cinq ans plus tard, après une campagne menée par d’anciens membres d’équipage, le ministère a publié le résumé, largement censuré.

La publication du rapport complet et non censuré a été autorisée en 2012, mais le ministère a retardé sa déclassification jusqu’à maintenant.

Source : The Guardian (Grande-Bretagne)