Les pirates somaliens exploitent la confusion qui entoure les conventions internationales

  • Dernière mise à jour le 19 novembre 2008.

La suppression de la piraterie et du commerce des esclaves, obtenue au cours du dernier quart du 19è siècle, constitue une des grandes réussites civilisatrices du genre humain. Cette réussite doit beaucoup à l’implication des grandes puissances maritimes comme le Royaume-Uni et les Etats-Unis. En effet, dans les tous premiers temps des Etats-Unis, le Président Jefferson a envoyé l’US Navy, encore balbutiante, affronter les pirates barbaresques, à la fois à terre et sur mer.

Dans les années 70, avec le chaos grandissant régnant dans certaines parties d’Afrique et d’Asie, la piraterie a commencé à refaire son apparition. Mais, ce n’est pas avant le 21è siècle que la piraterie a connu une explosion, le nombre d’attaque augmentant chaque année à un rythme à 2 chiffres. L’an dernier, selon le Bureau Maritime International, 263 attaques de pirates, en comptant les tentatives ratées, ont eu lieu. De larges zones maritimes sont maintenant devenus des paradis pour les pirates, des zones où les navigateurs peuvent s’attendre à être attaqués.

L’économie du 21è siècle étant ce qu’elle est, les pirates modernes sont plus intéressés par le paiement de rançons par les propriétaires et des assureurs anxieux que par le vol des navires ou de leur cargaison. La piraterie est cependant une activité vicieuse et violente qui expose les marins à un risque de mort ou de blessure. De façon encore plus fondamentale, l’explosion de la piraterie est, comme le terrorisme, un défi à la civilisation et à l’ordre international.

L’expérience montre que quelques efforts sporadiques ne seront pas suffisant pour résoudre le problème. Seule une mission navale dédiée, en parallèle avec une action déterminée pour fermer les ports sûrs des pirates réussira à renvoyer la piraterie dans les livres d’histoire.

Capturer les pirates n’est pas le point critique. La question est plutôt comment les traiter en captivité. Traditionnellement, les pirates tombaient dans la catégorie des hostiles illégitimes qui comprenaient les trafiquants d’esclave, les brigands sur les routes et, en temps de guerre, les ennemis combattants illégaux. En 1718, le juge Nicholas Trott, présidant le procès d’un pirate, avait expliqué : "il est légal que celui qui les arrête, s’il ne peut les amener en toute sécurité à un gouvernement qui puisse les juge, les mette à mort." Cette loi, bien sûr, a changé depuis le 18è siècle. Les pirates, les brigands et les combattants illégaux doivent maintenant être jugés avant de pouvoir être punis.

Une solution serait, pour l’état qui a effectué la capture, de porter des accusations basées sur le principe mal compris et mal utilisé de la juridiction "universelle". C’est le principe selon lequel tout état peut poursuivre et punir celui qui viole certaines règles acceptées au niveau international. Bien que son application soit douteuse dans de nombreuses circonstances — il y a en fait très peu d’exemples soutenant le droit d’un état à punir les ressortissants d’un second état pour des crimes ou des délits commis contre les citoyens d’un 3è — la piraterie est un des domaines où la juridiction universelle peut s’appliquer (ne serait-ce que parce que la piraterie a souvent lieu en haute mer, là où aucun état n’a juridiction).

De plus, compte-tenu de la nature des opérations navales, il est beaucoup plus facile de faire la différence entre un pirate et un pêcheur innocent. Cela devrait faciliter les procès contre les pirates, que ce soit sur le plan légal ou des relations publiques.

Le principal problème est que les alliés de l’OTAN ont dans la réalité abandonné les règles légales historiques qui permettaient de juger les combattants irréguliers devant des tribunaux militaires spéciaux (ou, dans le cas des pirates, des tribunaux de l’amirauté) en faveur d’un modèle de justice criminelle civile. Bien que la piraterie soit certainement un délit ou un crime, la traiter comme le vol de banque ou un meurtre ordinaire pose quelques problèmes pour les états occidentaux.

Pour commencer, les criminels de droit commun ne peuvent être la cible d’une force militaire. Il y a aussi d’autres problèmes. En avril dernier, le Foreign Office britannique aurait averti la Royal Navy de ne pas arrêter de pirates, puisque cela pourrait violer leurs "droits fondamentaux" et pourrait même mener à des demandes d’asile en Grande-Bretagne. Remettre les captifs aux autorités somaliennes est aussi difficile — puisqu’ils peuvent faire l’expérience de la rigueur de la loi islamique : être décapité ou se faire couper la main. Des considérations similaires ont étonné les responsables américains dans leurs discutions sur comment réagir face à cette réapparition d’un problème vieux comme le monde.

Au cours des dernières années, la France a décidé de remettre les pirates aux autorités somaliennes, en se basant sur des assurances de traitement humain. Seul le temps dira si elles sont respectées. Une question tout aussi importante est de savoir s’il y aura effectivement un procès. Dans de nombreuses régions, les gouvernements locaux seraient corrompus ou intimidés par les groupes de pirates [1].

Une chose est certaine : comme dans la lutte contre le terrorisme, cette nouvelle campagne contre la piraterie va tester la détermination des gouvernements occidentaux. Elle va aussi exiger qu’ils équilibrent les droits des pirates avec les droits indiscutables des victimes à ne pas passer leur vie dans le danger et la crainte.


MM. Rivkin et Casey sont des avocats de Washington, qui ont fait partie du département de la justice sous les présidents Reagan et George Bush père.

Notes :

[1Il y a d’ailleurs eu une évasion de présumés pirates, cette semaine. Le gouvernement local a démenti que 2 des évadés fassent partie des 8 ou 9 pirates transférés par la France.

Source : Wall Street journal (Etats-Unis)