Un grand bluff iranien ?

  • Dernière mise à jour le 8 mai 2006.

Les exercices navals "Grand prophète" qui viennent d’avoir lieu en Iran ont eu un retentissement considérable.

Torpille Shkval

Dans le contexte des rumeurs incessantes sur une éventuelle intervention militaire des Etats-Unis en Iran, de nombreux experts ont vu dans ces exercices une démarche entreprise par Téhéran pour montrer que sa volonté reposait sur une force militaire réelle. Pour d’autres, il s’agit là d’une tentative de l’Iran pour faire prendre ses désirs pour la réalité. C’est à dire d’un coup de bluff ordinaire.

Blague à part, les médias iraniens ont prétendu que des nouveaux types d’armes et de matériels de guerre avaient été testés au cours de ces exercices et que certains d’entre eux n’avaient pas d’analogues dans le monde. Comme par exemple le missile antiaérien Misagh-1 à guidage thermique, doué d’une très grande vitesse et extrêmement manoeuvrable. Ou encore le missile sol-mer (Kowsar) de courte et de moyenne portées. Ce missile est également doté de systèmes de guidage à distance et de recherche des cibles. La marine iranienne a aussi testé un hydravion autrement appelé "navire volant" pouvant voler en "rase-vagues" à la vitesse de 100 noeuds par heure.

Et ce n’est pas tout : le nouveau missile balistique iranien Fajr-3, indétectable par les radars ennemis, et la torpille Hout filant sous l’eau à la vitesse de 100 mètres par seconde ont également été testés. En d’autres termes, l’Iran a laissé entendre au monde qu’il était prêt à une guerre et que "la plus petite atteinte aux intérêts de l’Iran dans le golfe Persique se heurterait à une vigoureuse riposte navale, sous-marine, aérienne et terrestre". L’Iran fait la démonstration qu’il contrôle entièrement le détroit d’Hormuz, c’est-à-dire le secteur du golfe Persique par lequel passent quelque 80% du pétrole extrait dans la région.

Les principaux opposants de l’Iran, les Etats-Unis et Israël, sont assez sceptiques quant à la démonstration de force à laquelle l’Iran s’est livré. Selon leurs déclarations, Téhéran bluffe manifestement en exagérant beaucoup son potentiel militaire dans l’optique d’éventuelles sanctions décrétées contre lui par le Conseil de sécurité de l’ONU. Ce qui n’est pas dépourvu de logique. Surtout si l’on compare la force militaire affichée par l’Iran au potentiel des six Groupes de porte-avions américains dont quatre sont déployés dans le golfe Persique, les deux autres croisant dans le secteur sud de la Méditerranée. Chacun de ces groupes compte de 80 à 90 avions de combat modernes auxquels feraient face 360 avions iraniens démodés, dont 40-60% sont dans un état technique laissant à désirer, estiment divers spécialistes.

Avec un tel rapport des forces, le Pentagone aurait la maîtrise de l’air dans la zone du Golfe et dans l’ensemble de la région, comme pendant la campagne irakienne. Il n’y a pas lieu de douter non plus que l’aviation américaine frapperait tout navire suspect apparaissant dans le détroit d’Hormuz. Quant au missile balistique Fajr-3 et à la torpille à grande vitesse Hout, sur lesquels misent les militaires iraniens, ils ne peuvent être tirés que depuis des navires.

En ce qui concerne la valeur combative et l’organisation des effectifs, l’Iran le cède manifestement aux six Groupes de porte-avions américains. Alors, quels étaient les buts poursuivis par les exercices navals iraniens ?

Il ne faudrait surtout pas les considérer simplement comme un coup de bluff. L’Iran dispose encore de temps pour la réflexion et négocier avec le Conseil de sécurité et aussi avec les Etats-Unis, deux autres possibilités s’offrent encore à lui pour manifester sa volonté de défendre son droit d’enrichir de l’uranium dans le cadre de son propre programme nucléaire. En effet, selon les prévisions les plus sérieuses, les Etats-Unis ne pourraient pas commencer avant le mois de septembre une opération militaire contre l’Iran, si, bien sûr, ils ont l’intention de le faire. Et voici pourquoi.

Selon le commandant suprême des forces de l’OTAN, le général américain James Jones, la Force internationale d’assistance à la sécurité (ISAF) en Afghanistan ne contrôlera entièrement le territoire de ce pays non pas en octobre-novembre prochains comme prévu, mais en août. On voit mal les Etats-Unis entreprendre une opération militaire en Iran sans s’assurer que leurs arrières en Afghanistan sont bien assurés. D’un autre côté, les Etats-Unis hésiteront à faire coïncider le début d’une action musclée en Iran avec les élections au Congrès programmées pour le mois de novembre. Par conséquent, on peut considérer septembre-octobre comme la période optimale.

Partant, l’Iran a encore du temps devant lui non seulement pour afficher sa résolution et aussi mener certaines choses à bien. Par exemple, convaincre l’opinion mondiale de la vanité, du danger et, chose essentielle, de l’illégitimité des efforts appliqués par Washington pour contraindre l’Iran à renoncer à son droit d’enrichir de l’uranium. L’Iran pourrait aussi tenter de persuader le Conseil de sécurité de l’ONU de renvoyer le dossier iranien à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Enfin, pourquoi ne pas titiller les nerfs de Washington en démontrant que les Etats-Unis ne sont pas les tout-puissants qu’ils prétendent être, en tout cas dans la région où l’Iran prétend clairement au leadership. Pourquoi l’Iran n’essayerait-il pas d’obliger les Etats-Unis à tenir compte de ses intérêts ? Pour l’instant,Téhéran ne donne pas l’impression de se résigner à céder le pas sans combattre à Washington.

Par Piotr Gontcharov, © 2006 RIA Novosti