La France dénonce l’Espagne pour lui avoir copier un sous-marin

  • Dernière mise à jour le 4 mai 2009.

Les relations intenses et amicales entre la France et l’Espagne, consacrées la semaine dernière par la visite d’Etat du couple Sarkozy, se sont découverts un petit caillou dans la chaussure. Un petit caillou de 1.700 tonnes, c’est-à-dire le déplacement de chaque sous-marin Scorpène, construits par les chantiers navals français DCNS et espagnols Navantia.

Le Scorpène est le projet bilatéral le plus important dans le domaine de l’industrie de défense et, probablement, le seul et unique produit industriel à haute valeur technologique qui soit exporté sous l’étiquette "franco-espagnole". Et avec un succès non négligeable.

Le Chili a été le premier client de ce modèle, avec 2 sous-marins qui naviguent déjà : le O’higgins et le Carrera. Il a été suivi par la Malaisie, avec 2 unités, l’Inde, avec 6, et le Brésil, qui vient d’en commander 4. Les sous-marins chiliens ont été vendus pour plus de 300 millions €, le même prix que ceux de Malaisie ; pendant que les sous-marins indiens (construits par des chantiers locaux) approchent les 2 milliards.

Les parents du Scorpène sont cependant, en instance de divorce. Et pas exactement à l’amiable : DCNS (la compagnie issue de la fusion entre le chantier naval public DCN et la division navale du groupe privé Thales) a déposé devant le Tribunal d’Arbitrage de Paris une demande contre son associé espagnol. Non seulement DCNS souhaite dissoudre la société commune constituée avec le chantier espagnol Navantia pour commercialiser le Scorpène mais, pour justifier la rupture brusque, il l’accuse de plagiat.

L’origine de ce litige, qui pourrait avoir des conséquences néfastes pour les Français et les Espagnols sur le marché international des sous-marins, remonte à la décision du dernier gouvernement Aznar, confirmée par Zapatero, d’équiper le futur sous-marin espagnol, le S-80, avec le système de combat de la société américaine Lokheed Martin, à la place de son équivalent français.

La décision est tombée comme une douche froide en France, où on tenait pour acquis que le S-80 serait un sous-marin franco-espagnol, et, peut-être pour cette raison, DCNS n’a pas fait une offre très attractive, selon les spécialistes. Mais le climat s’est encore plus détérioré lorsque Navantia a proposé le S-80 lors de certains appels d’offres, comme celui de la Turquie, où DCNS espérait vendre son projet Marlin.

Des sources espagnoles assurent que la France n’avait aucune chance de gagner ce contrat, à cause du différent avec le gouvernement turc sur le génocide arménien. Au final, c’est un 3è qui a remporté la mise : le chantier allemand HDW.

Navantia dément avoir copié la technologie du Scorpène, — “Ce sont 2 produits très différents, à commencer par sa taille”, explique Navantia, en rappelant que le S-80 déplacera 2.300 tonnes —, bien que logiquement, le savoir-faire acquis par les ingénieurs espagnols lors de chaque programme est incorporé dans le suivant. Quelle que soit l’issue du litige, ce qui est sûr, c’est que ce sera cher, important et préjudiciable pour les 2 parties.

Pour le moment, pour l’exportation du S-80, que Navantia a l’intention de proposer à l’Australie et en Norvège, en Inde et à Singapour. Une dispute devant les tribunaux n’est pas la meilleure carte de visite.

Mais aussi pour DCNS, qui ne s’est toujours pas mis d’accord avec Navantia sur les termes du contrat avec le Brésil. Bien que la France construise la majeure partie du sous-marin (65% contre 35%), la propriété intellectuelle appartient à parts égales aux 2 compagnies. "Si nécessaire, Navantia est disposée à exercer ses droits devant tous les organismes qui seront nécessaires", a assuré un porte-parole du chantier espagnol, qui a étudié la possibilité de répondre à DCNS par une demande de rétorsion.

Pour autant, consciente que cette voie peut conduire à la MAD (“Mutual Assured Destuction”, Destruction Mutuelle Assurée selon la terminologie de la Guerre Froide), l’Espagne préfère un accord à l’amiable, ce que pourrait faciliter le récent remplacement de Jean-Marie Poimboeuf par Patrick Boissier à la tête de DCNS.

Les spécialistes consultés croient que l’objectif de la demande française contre Navantia est de compliquer l’apparition d’un concurrent sur le marché international des sous-marins et de renégocier en position de force sa participation au S-80, une fois exclu le système de combat.

Des sources de la défense espagnoles ont indiqué que, après le sommet franco-espagnol, un groupe de travail a été créé entre les directions générales de l’armement pour explorer la coopération à des projets de sous-marins et, en particulier, le S-80. "Le retrait de la demande", a indiqué la même source, "serait un geste de bonne volonté".

Source : El País (Espagne)